L’efficacité économique
nationale
face à la mondialisation
intervention
de Philippe CREVEL prononcée
le 30
janvier 2015 dans le cadre du séminaire
H3.0 SANOFI
Je ne sais pas ce que vous en
pensez mais je trouve que le titre de mon intervention comporte beaucoup de
gros mots pour nos oreilles. Efficacité, nation, économie, mondialisation…
Il fallait oser le
cumul !!!
Avez-vous déjà lu un livre
qui vante l’efficacité de la France au sein d’une économie mondialisée ?
En revanche, des livres sur le
déclin, la faillite du système français, il y en a à la pelle.
Par ailleurs, je dois vous l’avouer,
j’ai un problème avec l‘intitulé dont je suis co-responsable.
Je tiens à vous faire
partager mon embarras.
Je vois un peu près ce que
c’est l’efficacité ou la performance d’un champion sportif, d’une équipe de
football ou d’handball ; en revanche, l’efficacité économique d’une nation est
une notion très abstraite aux contours mal définis.
Selon la théorie libérale,
l’économie repose non pas sur les avantages absolus mais sur les avantages
relatifs ou comparatifs.
Il convient de se spécialiser
dans les domaines où on est le moins mauvais. C’est le principe qui est à
l’origine des révolutions économiques que nous connaissons depuis le milieu du
18ème siècle.
L’économie n’est pas une
compétition sportive et encore moins une guerre. Nous sommes dans le domaine du
contrat, du donnant / donnant. Certes, je ne suis pas naïf, la conquête d’un
marché est souvent un chemin de croix. Elle nécessite de la stratégie, des
efforts de l’entrainement, des réseaux.
Avant même de parler de
nation qui réunit dans le cadre d’une communauté de destin des hommes et des
femmes qui ont par nature une activité économique, nous pouvons nous interroger
sur la définition d’une entreprise efficace.
Ce concept n’est pas facile à appréhender que l’on soit
économiste classique, keynésien voire marxiste.
Une entreprise efficace
est-ce une entreprise qui réalise des bénéfices importants. Mais, dans ce cas,
n’est-elle pas dans une situation de rente improductive ? Les libéraux et
les marxistes se rejoignent sur ce sujet pour juger le profit nuisible, les
libéraux mettant l’accent sur une mauvaise allocation des richesses quand les
marxistes y voient une exploitation et la traduction d’un rapport de force.
Le bénéfice n’est qu’un
critère parmi d’autre. J’aurai pu choisir le taux de marge, la valeur ajoutée,
le chiffre d’affaires…
Une entreprise est –elle
efficace parce qu’elle grandit ? Mais cette croissance peut être obtenue
de manière externe ou interne. La course
au gigantisme peut se muer en constitution d’oligopoles ou de monopoles qui
peuvent être contreproductifs.
Une entreprise peut être
efficace socialement ce qui n’est pas antinomique de l’efficacité économique.
Le fordisme a prouvé que des salaires plus élevés étaient sources d’enrichissement
pour les entreprises
Une entreprise est-elle
efficace par les innovations qu’elles diffusent auprès de ses clients ?
Des entreprises comme Apple,
comme Microsoft, Google, les laboratoires pharmaceutiques par leurs innovations
changent le monde comme hier l’ont fait les sociétés de téléphonie, les
sociétés pétrolières et bien d’autres.
La notion d’efficacité
économique est donc protéiforme.
Si, en plus, j’y ajoute la
notion de mondialisation, elle se mue en un mouton à cinq pattes voire en un
mille pattes.
Que signifie le terme
d’efficacité nationale quand les entreprises du CAC 40 réalisent 70 % de leur
chiffre d’affaires au-delà des frontières, quand des entreprises produisent plus
de la moitié de leur production à l’étranger ?
Une entreprise peut être
efficace mondialement et terriblement inefficiente nationalement. Elle peut
avoir des bénéfices à l’échelle mondiale et ne pas payer d’impôt sur les
sociétés en France. Sommes-nous dans l’efficacité, dans la morale, ou dans le
nationalisme…
La mesure de l’efficacité
d’une nation est par définition un exercice périlleux
Une nation pour être efficace doit-elle reposer sur un
Etat qui le serait également ?
L’Allemagne semble le
prouver.
Une mauvaise gestion publique c’est plus d’impôts,
c’est souvent plus de réglementation et plus d’instabilité juridique.
Mais, à l’étranger, le système administratif français
est réputé pour son organisation et pour être moins corrompu que bien d’autres.
Certes, par facilité, par
refus d’admettre que les temps avaient changé, nous en sommes à plus de 40 ans
de déficits publics et à 2000 milliards d’euros de dettes publiques. En la
matière nous ne sommes pas sans reproche même si nous ne sommes pas les seuls.
Souvent, il est mis en avant
que la France consacre 56 % de sa richesse à la dépense publique. C’est un
choix collectif confirmé d’élection en élection. Nous nous félicitons de notre
système de protection sociale et cela a un coût : 33 % du PIB. C’est un
peut être un luxe que nous ne pouvons plus nous payer mais c’est un autre
débat.
En outre, il faut faire
attention aux définitions. Une dépense sociale peut être d’ordre public en
France et d’ordre privé en Allemagne ou aux Etats-Unis. Ainsi, les cotisations
de retraite complémentaire sont des dépenses publiques en France mais pas dans
les deux autres pays.
Enfin, nous devons consacrer
plus d’argent que nos amis allemands à l’éducation des enfants du fait de notre
taux de natalité est supérieur au leur.
L’Etat n’est pas tout et ne saurait résumer
l’efficacité d’une nation.
L’efficacité se mesure-t-elle à l’aune du PIB ?
En 2014, la Chine est devenue
la première puissance économique mondiale et la France a cédé sa cinquième
place au Royaume-Uni.
Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?
1,3 milliard de Chinois
créent plus de richesses que 316 millions d’Américains. Rien d’exceptionnel.
Ils retrouvent la place qui était la leur au 17ème siècle.
Le Royaume-Uni a dépassé la
France en comptabilisant la prostitution et la drogue dans le PIB ; comme
quoi la vertu ne paie pas. Il faut l’avouer la Perfide Albion a également
bénéficié de l’appréciation de la livre sterling sur l’euro et du retour d’une
forte croissance.
Pour analyser plus finement le niveau de richesse, il
convient de retenir le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat.
Or, la France tend à reculer
pour le PIB par habitant du fait de la faible croissance et de l’augmentation
de sa population.
Au niveau mondial, nous
sommes désormais 26ème. Au sein de la zone euro, notre pays est en 8ème
position. Nous sommes juste dans la moyenne.
Nous pourrions aussi retenir un critère d’ordre
social.
Par exemple, la possibilité
de progresser dans la hiérarchie sociale ou l’écart entre les plus riches et
les plus pauvres. L’ascenseur social s’est beaucoup ralenti depuis trente ans.
Depuis l’an 2000, le niveau
de vie des 10 % les plus riches a augmenté de 19 % quand celui des 10 % les
plus pauvres n’a progressé que de 5 %. Néanmoins, la France demeure un des pays
les plus égalitaires de l’OCDE.
Le taux de chômage pourrait être un bon juge de
paix ?
Une économie de plein emploi
est par nature une économie efficiente comme le prouve l’Allemagne.
Le chômage est un gaspillage
de ressources rares, l’intelligence des femmes et des hommes.
La France avec ses 5 millions
de personnes à la recherche d’un emploi avec un taux de chômage de 10 % qui
atteint plus de 25 % dans certaines banlieues est évidemment en situation
d’échec depuis des années.
Il faut néanmoins prendre en
compte le fait que la France est un des rares pays d’Europe à connaître une
augmentation de sa population active.
L’indicateur du chômage doit
être également manié avec prudence. Il est fonction du niveau de
l’indemnisation. Le taux de chômage est plus faible aux Etats-Unis ou au
Royaume-Uni car le niveau de couverture y est inférieur.
Au-delà de l’emploi, l’efficacité dépend éminemment de
la productivité.
Or, avec les Belges, les
Hollandais, nous figurons parmi les plus productifs. Pour certains, ce n’est
pas lié à nos qualités, mais c’est la conséquence de nos coûts élevés et de
faible durée du temps de travail.
Sommes-nous d’ailleurs trop
productifs au point de ne pas pouvoir intégrer les actifs les moins
performants ?
Nous pouvons mesurer l’efficacité économique avec la
balance commerciale ?
A première vue, nous faisons
pâle figure.
La France a perdu près de la
moitié de ses parts de marché depuis l’an 2000. Elle a accumulé des déficits
commerciaux depuis plus de 10 ans quand l’Allemagne engrange sur la même
période des excédents de 5 à 7 % du PIB.
Mais, la France n’a jamais
été une puissance commerciale. Durant les 30 glorieuses, nous enregistrions des
déficits commerciaux. De même, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni sont
structurellement déficitaires et cela ne les a pas empêché d’occuper la place
de première puissance économique.
Dans une économie mondialisée
avec des multinationales, ce critère est très relatif. Est-ce que nous nous
intéressons à la balance commerciale du Limousin ou de Champagne
Ardennes ? Que signifie une comptabilité nationale avec une monnaie unique
qui s’applique au sein d’une zone dans laquelle nous réalisons plus de la
moitié de nos échanges..
La force économique d’une nation se mesure de plus en
plus par sa présence à l’internationale.
Or, la France arrive devant
l’Allemagne pour le nombre d’entreprises dans le classement des 100 premières
mondiales.
De même, dans le classement
des entreprises mondiales les plus performantes, la France se situe en deuxième
position juste derrière les Etats-Unis. Parmi les 10 premières entreprises
européennes dans ce classement, 5 sont françaises.
Nous avons des champions dans
de très nombreux secteurs : aéronautique, aérospatiale, médicaments, énergie,
transports, BTP, logiciels…
Les produits français sont
présents aux quatre coins de la planète : les produits de luxe, les vins,
les meubles.
Evidemment, les esprits
chagrins pourraient me faire remarquer que la France se désindustrialise, qu’elle
ne sera bientôt peuplée que de parcs d’attraction et de maisons de retraite.
Oui, en trente ans, nous avons perdu 2 millions
d’emplois industriels. Mais ce déclin industriel ne nous est pas spécifique.
Si depuis 1973, l’emploi
industriel a reculé de 16 points en France. Il a diminué de 17 points au Japon.
La baisse a été de 15 points en Allemagne et aux Etats-Unis.
En proportion de la taille du
pays, l’industrie française reste supérieure à celle des Etats-Unis, du Canada,
de l’Australie, des Pays-Bas ou du Royaume-Uni.
L’industrie se transforme.
Les frontières entre les secteurs d’activité sont de plus en plus poreuses.
Ne faisons pas la même erreur
que les physiocrates du 18ème siècle qui considéraient que seule
l’agriculture pouvait générer des gains de productivité.
Même s’il y a relocalisation,
l’industrie ne sera jamais plus créatrice d’emplois comme elle l’a pu l’être
durant le 20ème siècle. Il est vain de vouloir chasser les fantômes
du passé. Voulons-nous rouvrir les mines de charbon ?
L’efficacité économique mesurée par le PIB ou d’autres
ratios n’a pas la cote. C’est bien connu, le PIB et l’argent ne font pas le
bonheur !
Pour tenir des conditions de
vie, les organisations internationales ont fréquemment recours à l’indice de
développement humain.
Cet indice prend en compte
l’espérance de vie, les revenus par habitant et du taux d’alphabétisation.
En retenant ce critère, nous
sommes dans le haut du panier mais sans plus. La France se situe le 20ème
rang mondial, en légère baisse sur longue période. Nous sommes derrière la
Norvège, l’Australie, la Suisse, les Etats-Unis, l’Allemagne mais aussi
derrière la Corée du Sud, l’Islande ou Israël.
Une nation efficace doit-elle être heureuse ?
Force est de constater que le
compte n’y est pas en France. Les Français malgré ses terroirs, son climat,
figurent parmi les plus pessimistes avec les Belges. Nous ne croyons guère en
l’avenir et récusons le système économique actuel.
J’aurai l’occasion de revenir
sur cette défiance généralisée.
L’efficacité nationale peut se mesurer en fonction de
l’influence, de la culture de la recherche ?
Or, avec moins de 1 % de la
population, avec un PIB de 2900 milliards de dollars soit un peu moins de 4 %
du PIB mondial, nous demeurons encore une puissance de premier plan. Notre
rayonnement est bien supérieur à notre poids démographique et économique.
Notre présence dans les arts
reste importante.
Depuis l’an 2000, la France
compte trois prix Nobel en Littérature. Depuis la création de ce prix en 1900,
la France l’a reçu à 15 reprises et demeure largement en tête.
Ce sont des architectes
français qui ont construit l’aéroport et de l’opéra de Shanghai, de l’opéra de
Pékin, la Cité des Arts de Rio…
Au niveau de la recherche,
nous restons parmi les premiers.
La France arrive en tête en
ce qui concerne l’attribution de la Médaille Fields qui correspond pour les
mathématiques au Prix Nobel.
Pour les Prix Nobel de
Physique et de Chimie, la France est au quatrième rang (Albert Fert en 2007 et
Serge Haroche en 2012, Yves Chauvin).
Notre rayonnement
international, nous le devons aussi à notre activité touristique.
La France reste le premier
pays d’accueil pour les touristes, en 2014, plus de 80 millions de touristes
générant pour plus de 40 milliards d’euros de recettes.
Nos atouts sont nombreux. Je
pourrais également citer la qualité de nos infrastructures mais il y a un
domaine où nous sommes imbattables au grand étonnement des étrangers, c’est dans l’autodénigrement et dans
l’autoflagellation.
Nous sommes des adeptes du
no-future.
Nous nous complaisons dans la nostalgie de temps qui
n’ont pas existé.
Nous sommes tout à la fois
des agriculteurs qui maugréent sur la pluie et le soleil et des restaurateurs
insatisfaits permanents de la saison touristique qu’elle soit bonne ou
mauvaise. Je vous rassure je n’ai rien contre ces deux professions fort
estimables.
Mais, si tout va mal, c’est
bien connu, c’est la faute à Rousseau et à Voltaire qui en la matière
s’appellent durée, coût du travail, impôts, charges ou je ne sais quoi.
Nous considérons qu’hier
était mieux qu’aujourd’hui en refusant de reconnaitre que notre situation est
bien plus avantageuse aujourd’hui qu’hier.
Si nous étions tous
téléportés dans les années 60, nombreux seraient ceux qui exigeraient
immédiatement leur billet retour pour l’an 2015.
En effet, il faudrait
accepter de vivre avec un pouvoir d’achat divisé par trois. Près d’un cinquième
de la population vivait alors sous le seuil de pauvreté contre 14 %
aujourd’hui. Le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus
pauvres était de 1 à 5 contre 1 à 3,5 aujourd’hui.
Plus de 40 % des logements
étaient privés de tout confort sanitaire contre 1,2% en 2012. Un quart des
ménages avait une voiture en 1960 contre 83 % aujourd’hui. En 2014, près d’un
tiers des ménages a même deux voitures.
Pourquoi la France est-elle donc en indélicatesse avec
elle-même ?
Il y a une évidente énigme
française qui ne date pas d’aujourd’hui. Notre histoire a tendance à se
répéter. Nous avons toujours du mal à appréhender le changement. Nous avons du
mal à prendre le train des révolutions économiques. Nous aimons prendre du retard.
Quelles en sont les
raisons ?
J’en vois au moins
trois !
· Notre mode d’organisation et notre rapport à l’Etat
· Notre absence de consensus
· Notre répulsion relative au concept de progrès
Notre mode de gouvernance, de
tout temps, ne joue pas en notre faveur. Nous sommes fâchés avec l’autorité ou
plutôt nous avons un rapport complexe au pouvoir.
La France est un pays
vertical dans un monde de plus en plus horizontal. La France, c’est une hyper-concentration des pouvoirs à tous les étages
avec une hyper-atomisation à la base.
Le pouvoir est tout à la fois
fort et faible. Fort du fait de la puissance de l’administration, faible en
raison de sa concentration, faible dès que sa légitimité pâlit.
La monarchie absolue n’a pas
résisté à la Révolution tout comme Napoléon après Waterloo, Napoléon III après
Sedan ou la 3ème République en 1940. La 5ème République a
failli périr en 1968 du fait d’une révolte étudiante.
La France est une nation
créée par des militaires. Elle est le produit des Rois combattants, de Napoléon
et de Gaulle.
L’armée a modelé la vie
publique française et bien au-delà. Le système d’organisation avec les préfets,
les sous-préfets est un décalque de l’armée. Les grandes entreprises nationales
ont des modes de fonctionnement très verticales avec une concentration au
sommet des décisions.
Ce système s’est diffusé dans
l’ensemble de la société. Le principe de base, c’est que l’intendance suivra.
L’économie est seconde et là est le problème dans un monde qui la place en tête
de gondole.
En France, quand le système
administratif se grippe, c’est tout le pays qui tousse.
Nous sommes aspirés par
l’esprit de la pyramide.
Notre système de formation
nous y pousse également. Il est par nature hiérarchique, professoral.
Le mode de formation des
élites demeure très marqué par cet esprit militaire avec ses classes
préparatoires, ses bizutages, ses écoles qui jusqu’à une époque très récente
étaient repliées sur elles-mêmes.
Les carrières dépendent des
classements de sortie comme pour les officiers. Notre vie est prédéterminée par
des choix réalisés entre 15 et 25 ans.
Autre source d’inefficacité, notre absence de
consensus qui est une source d’étonnement à l’étranger.
Notre goût pour la division
est une de nos caractéristiques. Il est attisé par les pouvoirs publics qui y
trouvent les moyens de se maintenir au pouvoir. Mais, cet esprit est une source
de blocages.
L’absence de consensus trouve
ses sources dans la faiblesse des corps intermédiaires. Nous n’en finissions
pas de payer la Loi Le Chapelier et les décrets d’Allarde de 1791. La formule
de Sieyès, « le pouvoir vient d’en haut et la confiance d’en bas » a
résisté au temps et aux régimes.
Avec la suppression des corps
intermédiaires, il n’existe pas de cordes de rappel en cas de séisme. Il n’y a
pas d’auto-stabilisateur. Il y a la chute plus ou moins libre. Du fait de la
reconnaissance tardive des syndicats, en 1884, du fait de la concentration des
pouvoirs, toute négociation sociale remonte au sommet.
L’Etat est le pompier de tous les recours
La France n’a pas de société
civile mais elle a des statuts, des régimes spéciaux.
Quelles solutions ?
Je n’ai évidemment pas de remèdes miracles. Mais, je
trouve qu’en matière institutionnelle, en matière de gouvernance, nous sommes
très conformistes voire de plus en plus conservateurs
J’aurai aimé que dans le
cadre du récent débat institutionnel, ce dernier ne se limite pas à des
histoires de frontières. J’aurai aimé qu’il aborde les problèmes d’organisation
et de gestion des pouvoirs. Rares sont les voix en faveur d’un Etat fédéral
avec de réels contre-pouvoirs. Un Etat fédéral suppose des Régions disposant
d’un pouvoir législatif autonome en ce qui concerne leurs attributions.
Aujourd’hui, les collectivités locales françaises n’interviennent que par
délégation. Elles appliquent des normes étatiques.
Pourquoi ne pas s’interroger
sur le bienfondé de notre régime mi présidentiel / mi parlement qui aboutit,
dans la pratique, à un régime présidentiel absolu.
Ne faudrait-il pas instituer
un véritable régime présidentiel avec un Parlement autonome qui ne serait pas
élu après l’élection présidentielle afin de recréer du débat public et
favoriser l’émergence de consensus.
De même, ne faut-il pas enfin
redonner du sens à la négociation sociale en responsabilisant l’ensemble des
acteurs ? Ne faudrait-il pas créer un domaine dévolu exclusivement à la
négociation sociale protégé par la constitution.
Ne faut pas également
réfléchir à la meilleure association des salariés à la conduite des
entreprises. La cogestion à l’Allemande porte ses fruits surtout durant les
périodes difficiles.
Nous devons admettre que le
paradigme de 1944 est en train de s’effacer. Le mur de Berlin est tombé il y a
25 ans, la Chine s’est ouverte au capitalisme il y a plus de 35 ans. Plus de la
moitié du PIB mondial est réalisé par les pays émergents.
Comment pourrons nous faire la différence dans les
prochaines années ?
Dans un monde plus complexe,
plus concurrentiel avec un nombre important d’acteurs, c’est l’innovation et le
marketing de l’innovation qui sont différentiants.
Or, malgré le bon niveau de
notre recherche notamment fondamental, nous avons un rapport au progrès ambigu.
Nous avons constitutionalisé
le principe de précaution qui est un principe d’attrition, mais dans le même
temps, nous sommes friands de nouveautés technologiques.
Dans une société de la
connaissance, notre efficacité dépend de plus en plus de notre capacité à
innover. Notre avantage comparatif, c’est notre intelligence.
Or, en France, nous
gaspillons faute d’investissement, du fait d’un mauvais positionnement
économique, une grande partie de notre capacité intellectuelle.
Est-il normal que l’emploi
sous qualifié soit deux fois plus élevé en France qu’en Allemagne ?
Est-il normal que nous ayons
13 % de moins d’entreprises innovantes que l’Allemagne ?
Cette situation est tout à la
fois occasionnée par le nombre insuffisant d’entreprises de taille
intermédiaire et par un système de charges sociales qui s’est transformé en
chape de plomb.
En lieu et place aux
mille-feuilles des cotisations et des exonérations, un système avec un
abattement à la base éviterait les effets de seuil et le maintien d’une chape
de plomb sur les salaires et les responsabilités.
Il faut développer un statut
de l’activité professionnelle en lieu et place d’un statut lié à l’emploi. Il
faut accroître les mobilités professionnelles.
Il faudrait moins se
focaliser sur la question des coûts et plus sur celle de l’investissement, de
l’innovation, de la formation. Avec une vie professionnelle qui devra durer
plus de 43 ans, la question de la formation professionnelle devient
essentielle.
Autre piste pour améliorer
notre performance, c’est le développement de fonds de pension en France et des
trustee.
Nous avons la chance d’avoir
un taux d’épargne élevé mais les entreprises en profitent peu. Cette épargne
est accaparée par l’immobilier et par les administrations publiques. Par
idéologie, par tradition, par crainte, nous avons opté pour un système de
retraite par répartition quand nos partenaires ont choisi un système mixte
associant répartition et capitalisation.
Ironie de l’histoire, les
salariés français sont les meilleurs agents des fonds de pension étrangers qui
détiennent des participations dans nos meilleurs entreprises. Ainsi, nous
finançons les retraites de nos amis américains, anglais ou hollandais.
Il est donc important
d’instaurer un cadre favorable au trust qui permet de gérer par délégation des
entreprises. Cette formule permet également de régler les épineux problèmes de
succession dans les groupes familiaux. Aujourd’hui, bien souvent, les successions
sont synonymes de rachats par des entreprises étrangères, de démantèlements ou
de délocalisations.
C’était juste quelques
pistes….Vous voyez, les challenges ne manquent pas afin de rendre notre
économie plus efficace…
Je souhaiterais conclure sur des
notes positives
En économie, tout va très
vite. Il y a un vingt ans, le Japon constituait une menace économique. Les
magnétoscopes étaient bloqués à Poitiers et les voitures japonaises étaient
soumises à un contingentement. Le Japon devait devenir la première puissance
économique mondiale. Cela fait 20 ans que ce pays se débat avec la déflation.
Maintes fois, il a été prédit
que la chute de l’Empire américain. Nous attendons toujours. Les Américains
restent les créateurs symboles que la planète adopte. Ils restent l’unique
grande puissance monétaire et le dollar demeure la monnaie de réserve de
référence.
La France a certes loupé son
entrée dans le siècle. Nous terminons un cycle économique qui nous n’a pas été
très favorable. Les années 2000 ont été des années industrielles. Les pays
émergents se sont équipés en machines-outils afin de se transformer en
gigantesque ateliers industriels. L’Allemagne était idéalement positionné tant
pour fournir de la machine outils que des biens industriels de luxe que les
nouveaux riches souhaitaient acquérir.
Nous arrivons au terme de ce
processus. La production industrielle des pays émergents atteint un maximum. La
demande de services dans ces pays croit à forte vitesse.
Nous sommes bien placés en la
matière.
Avec l’émergence d’une classe
moyenne de trois à quatre milliards de personnes d’ici 2030, le tourisme
devrait se développer de manière exponentielle et notamment le tourisme
international.
Au niveau des nouvelles
technologies, nous avons également des atouts à faire valoir biotechnologies,
nanotechnologies, gestion des données, techniques cognitives.
Avant de vous laisser la parole et répondre à vos
questions, je souhaite citer Robert Reich l’ancien secrétaire d’Etat à l’emploi
de Bill Clinton.
« Le succès économique d’une nation ne doit pas
être jugé en fonction de la capacité de ses firmes à faire du profit ou à
accroître ses parts de marché. Il doit être apprécié en dernier ressort sur le
niveau de vie que ses citoyens peuvent atteindre et sur la possibilité de le
conserver et de l’améliorer dans le futur. Ce n’est pas ce que nous possédons
qui comptent mais ce que nous faisons ».
Merci