Depuis 1995, l’Organisation Mondiale du Commerce n’avait pas
réussi à conclure un cycle commercial. Les négociations débutées à Doha, en
2001, étaient encalminées. L’arrivée de nouvelles puissances commerciales et la
crise de 2009 avaient compliqué l’élaboration d’un accord commercial qui met en
présence 159 Etats.
Depuis plusieurs années, les tentations protectionnistes réapparaissent.
Les difficultés économiques et un renouveau du nationalisme qui en découle
concourent à la fragilisation d’un des piliers de la fin de la seconde guerre
mondiale, le libre-échange organisé.
En effet, après la montée du protectionnisme durant la crise
de 1929 et la Seconde Guerre Mondiale et face au bloc soviétique, les Etats
libres décidèrent de favoriser le commerce international à travers l’élaboration
de grands accords commerciaux.
Les 5 premiers accords signés de 1947 à 1962 dans le cadre
du GATT, instance informelle en charge du commerce internationale, ont porté
essentiellement sur le démantèlement des droits de douane et l’application des
principes clef du commerce international contemporain : la consolidation, une
fois fixés, les tarifs douaniers ne peuvent plus être logiquement, le principe
de non-discrimination et de réciprocité avec la clause de la nation la plus
favorisée et la clause du traitement national (tous les pays s'engagent à
appliquer les mêmes règles fiscales et de normes sur son territoire sans
distinguer l’origine des biens, le principe de l'interdiction des restrictions
quantitatives, le principe d’interdiction du dumping et le règlement des
différends commerciaux dans le cadre de procédure reposant en priorité sur la
conciliation.
Les grands cycles de négociation ont celui de Genève en 1947,
d'Annecy en 1949, celui de Torquay en 1951, celui de Genève en 1956, le Dillon
Round (1960 -1961). A compter des années 60, les cycles de négociation
s’échelonnent sur plusieurs années. Après la bataille sur les droits de douane,
ils tentent d’élargir leur champ d’application en intégrant un nombre croissant
d’Etats et en concernant de nouveaux secteurs d’activité comme l’agriculture
voire les services. Il y eut le Kennedy Round de 1964 à 1967, le Tokyo Round de
1973 à 1979 et l’Uruguay Round de 1986 à 1994.
La France figure parmi les Etats les plus récalcitrants. Ainsi,
en 1963, le Général de Gaulle, décida la politique de la chaise libre
considérant que les intérêts de la France pourraient être remis en cause du
fait du multilatéralisme et du fait que les subventions à l’agriculture font l’objet
de demandes répétées de démantèlement. C’est au nom de la défense de l’agriculture
et de l’exception culturelle qu’Edouard Balladur, Premier Ministre entre 1993
et 1995 bloqua la fin de la discussion de l’Uruguay Round. Etant donné que la France
n’est pas partie prenante en première ligne, la Commission européenne est, en
effet, en charge de représenter les Etats membres de l’Union, les tensions
furent fortes en son sein. La France obtint que la culture échappe à l’accord
et réussit à maintenir le régime d’aides agricoles sous réserve qu’elles ne
soient plus centrées de manière exclusive sur les prix de vente. Il en résulta
une transformation de la Politique Agricole Commune.
A la demande notamment de la France, fut créé par l’accord
de Marrakech de 1994, l’Organisation Mondiale du Commerce (instituée en 1995). Cette
organisation aurait dû être créée en 1947 mais le traité ne fut pas ratifié par
le Congrès américain ce qui empêcha sa mise en place. L’OMC a dû gérer un monde
en pleine mutation avec l’intégration des pays de l’ex-bloc soviétique et l’émergence
de nouvelles puissances commerciales avec évidemment la Chine. Autrefois
dominée par les Etats occidentaux, l’OMC est, aujourd’hui, une ONU du commerce
internationale composée d’Etats aux intérêts très divers. De ce fait, dans un
contexte économique sans précédent, l’accord de Bali du 7 décembre 2013 est une
demie- surprise au vu des oppositions qui s’étaient encore manifestées ces
derniers jours entre les membres de l’OMC. Un échec aurait peu mettre en danger
même l’OMC qui aurait été cantonnée dans la gestion voire dans l’enregistrement
du démantèlement des accords passés.
La négociation qui a duré 12 ans débouche sur un accord à
minima représentant environ 10 % des objectifs fixés au départ. Il concerne
l'agriculture avec un engagement renouvelé à réduire les subventions à
l'export, l'aide au développement prévoyant une exemption accrue des droits de
douane aux produits provenant des pays les moins avancés et la
"facilitation des échanges", qui ambitionne de réduire la
bureaucratie aux frontières.
Sur l’agriculture, l’accord est très prudent. Si l’Amérique
latine réclame une libéralisation, l’Europe et le Japon sont très réticents
afin de protéger leur agriculture. Sur l’aide au développement, l’Inde en avait
un point fort de son ralliement à l’accord. La facilitation des échanges
couvrent les pratiques non tarifaires qui se sont développées ces dernières
années. Ces pratiques prennent la forme de normes et de réglementations
administratives aboutissant à freiner les importations voire à les interdire.
L'OMC a évalué à 1.000 milliards de dollars la richesse que
cet accord permettra de créer, avec à la clef des millions d'emplois : 21
millions selon l'institut Peterson d'économie internationale.
La croissance de l’économie mondiale s’est construite sur la
libéralisation et sur le développement des échanges mondiaux qui génèrent des
gains de productivité, qui permet une meilleure spécialisation des acteurs et
une concurrence plus forte. Le rebond de l’Europe après 1947 comme l’émergence
des pays autrefois sous-développés sont intimement liés à l’acceptation du libre-échange.
A contrario, si la Chine avait disparu des écrans radars entre le 17 et le 21ème
siècle, cela est en grande partie dû à la décision des empereurs de ne plus
commercer avec « les barbares ». La sortie du sous-développement s’est
effectuée ces vingt dernières années que par la participation des pays
concernés au commerce international. Le repli protectionniste serait suicidaire
pour tous les Etats et pour les populations concernées. Evidemment, le commerce
international doit être régi par des règles acceptées et appliquées par tous
les participants. C’est la mission de l’OMC de veiller à leur respect. De
nombreux principes ont été posés et appliqués depuis 1947. Il faudra sans nul
doute aller plus loin en matière environnementale par exemple.
Au moment où le commerce international stagne voire recule
légèrement en valeur, il convient que l’accord de Bali ne soit pas le dernier
mais soit le début d’un nouveau cycle avec des objectifs clairs et
pragmatiques. L’OMC doit veiller à ce que la régionalisation des échanges n’aboutisse
à freiner le commerce international et a placé ceux qui ne sont pas membres d’organisations
régionales fortement intégrées en position de marginalisation. Or, que ce soit
avec le projet de libre-échange trans-pacifique ou celui Europe – Etats-Unis,
il y a une tentation de contourner l’OMC. Si les accords régionaux ont été
admis par le GATT et l’OMC, ils ne doivent pas créer des murailles étanches. Ce
sont les consommateurs finaux qui sont pénalisés mais également les entreprises
ainsi que les salariés dont les débouchés se restreignent et dont la
compétitivité se dégrade.
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