dimanche 6 octobre 2013

Le capitalisme français malade de la centralisation

La croissance, c’est du capital, du travail et du progrès technique. L’économie, c’est une somme de contrats. La valeur du contrat repose dans la confiance réciproque des signataires et sur le principe d’un partage équitable des gains générés. Aujourd’hui, nous ne manquons pas de capital, ni de travail. En ce qui concerne le progrès technique, la situation est plus ambigüe, d’un côté, la productivité décline et le principe de précaution aboutit à condamner toute innovation ; de l’autre, nous restons friands de biens technologiques. En outre, le nombre brevets concoctés à l’échelle mondiale s’accroît. En revanche, la défiance gangrène nos relations économiques. Le socle juridique est fragilisé par l’instabilité. Les acteurs habitués à une relation dominants/dominés que l’Etat a institué en modèle, l’applique en lieu et place d’une relation équilibrée gagnant/gagnant.

Il faut cesser de penser que l’économie, c’est la poursuite de la guerre par d’autre moyens. L’économie ne vise qu’à satisfaire les besoins des femmes et des hommes. La guerre économique que les Français aiment mettre en avant est une vision étriquée. Depuis Louis XIV, l’économie est, en France au service de la guerre qu’elle soit réelle ou imaginée. La création des grandes compagnies nationales ou de la marine n’avait comme objectif que d’assurer le rayonnement de la Couronne royale et de renforcer les capacités militaires du Royaume. Les nobles ne pouvant avoir comme métier que d’être des guerriers ne développaient pas d’activité économique et commerciales de peur de déroger à leur statut n’ont guère favorisé le décollage du pays. Les régimes se sont succédé sans pour autant changer la donne, l’économie n’est perçue que comme une intendance qui doit suivre les besoins d’un Etat au service du rayonnement du pays. Habitué que l’Etat régente pour son profit l’univers économique, les citoyens déclinent entre eux ce type de comportement. L’économie est avant tout perçue comme un jeu à somme nulle où les plus malins peuvent gagner au détriment des faibles, des perdants.

Notre relation avec la puissance publique est schizophrène et nous sommes en permanence de mauvaise foi. Nous considérons que l’Etat, les régimes sociaux, les collectivités locales nous rackettent et nous enlèvent le pain de la bouche tout en oubliant des services qu’ils nous rendent, des externalités qu’ils nous procurent. Les infrastructures, la formation, la sécurité même si parfois elle laisse à désirer sont la contrepartie des prélèvements effectués. Les prestations sociales contribuent tout à la fois à la demande finale et à la sécurité du système. Certes, il est tout à fait admissible de souligner que l’efficience de la dépense publique est mauvaise mais, c’est un tout autre débat. Notre relation au pouvoir est complexe car nous somme la vivons comme une relation de sujet à maître et non comme une relation équilibrée. Le Président de la République est l’héritier des rois de la monarchie absolue et non simplement un Français élu pour nous représenter. De ce fait, nous éprouvons une vive tentation de lui raccourcir la tête. Nous attendons que l’Etat règle tous nos problèmes, les petits comme les grands tout en le critiquant en permanence. La popularité des élus ne dure que le jour de l’élection et des quelques qui suivent. Nous oublions qu’en critiquant le Président, le Gouvernement, bien souvent nous critiquons notre pays et nous-même. Nous contribuons à saper le pacte républicain qui nous lie.

Ayant tout focalisé sur la relation verticale que nous entretenons avec le sommet de la pyramide administrative et politique, nous avons négligé nos relations horizontales. La Révolution nous a encouragés à le faire en supprimant les corps intermédiaires avec la loi Le Chapelier de 1791. Nous sommes des satellites de l’astre suprême et nous nous comportons dans nos relations privées comme des sous-ensembles de cet astre. Nous singeons l’Etat.

La verticalité des relations sociales et économiques est prégnante en matière sociale où les négociations doivent être nationales et ne peuvent pas se concevoir sans l’Etat. Les partenaires sociaux pour la réforme des retraites en 2013 ont eu avant tout des dialogues avec le Gouvernement. Même pour les négociations qui sont conduites par les partenaires sociaux, l’Etat est bien souvent présent et tient la plume.


Les collectivités locales vivent également dans la verticalité. C’est l’Etat qui organise leur vie à travers les transferts de compétences. Les pouvoirs transférés sont avant tout concédés, ils sont encadrés et limités. Quand les départements reçoivent comme mission de s’occuper des collèges, cela signifie qu’ils la charge de construire des établissements au profit de l’éducation nationale qui détermine le nombre de professeurs, les nomme et fixe le programme. La verticalité s’exprime également via les financements, l’Etat concédant quelques impôts mais s’arrogent de diriger l’action des collectivités locales à travers les diverses dotations.

La redynamisation de l’économie française passe par la restauration de solidarité de proximité entre les acteurs. Nous manquons cruellement de réseaux économiques de terrain. Il n’est pas étonnant que ce soit des territoires animés par des solidarités familiales comme en Vendée qui s’en sortent le mieux en termes économiques. Cette coopération économique est également une clef du succès allemand. Les entreprises d’un même bassin économique tissent des liens forts leur permettant de gérer ensemble les problèmes conjoncturels. Tout en étant concurrentes, elles peuvent mener des programmes de recherche en commun. Il n’est pas rare qu’une entreprise fasse profiter ses consoeurs de ses innovations. En Allemagne, l’économie n’est pas une guerre mais une aventure menée par des entreprises liées entre elles par des solidarités familiales et historiques. L’Allemagne est une création historique récente. Unifiée par Bismarck en 1871, elle fut, en outre, divisée en deux de 1949 à 1989. L’économie allemande repose sur une multitude de villes riches de leur histoire. Pour développer leur activité, les entreprises ont du tout à la fois s’imposer dans leur bassin d’origine mais tisser des liens dans les villes et régions voisines sans passer par un échelon national qui n’existait pas ou qui était sauf durant de rares périodes pas toujours heureuses plus faible qu’en France.


Le comportement des entreprises allemandes durant les crises est très différent de celui de leurs homologues français. L’entreprise allemande essaie autant que possible de maintenir ses effectifs afin de disposer au mieux de capacités de rebond. Les dirigeants allemands restent optimistes à moyen terme et à long terme quand le pessimisme règne en France. Ainsi Trumph, une entreprise spécialisée dans la conception de robots de découpe laser a durant la Grande récession de 2009, a été confrontée à une réduction drastique de ses commandes. Face à cette situation sans précédent pour cette entreprise, la direction a décidé de placer une grande partie du personnel en formation et d’investir sur de nouvelles machines. En 2010 et 2011, au moment de la reprise, Trumph a réussi à enregistrer ses plus forts taux de croissance de son histoire. La logique en vigueur outre-Rhin est d’améliorer en permanence la performance des salariés en jouant sur leur productivité. Les responsables français se focalisent trop sur le coût du travail et sur l’apport positif ou négatif des mini-jobs en Allemagne. En moyenne, le coût du travail est supérieur ou équivalent chez nos voisins. La durée de travail y est inférieure. Ce qui change, c’est l’implication professionnelle, l’existence d’un pacte entre employeurs et salariés ainsi que la recherche de gains de productivité par intégration de biens et services en provenance de pays à plus faibles coûts. Les relations économiques et sociales, en Allemagne, cherchent par définition d’intégrer les salariés à la communauté professionnelle au sein de l’entreprise et au sein d’un ensemble régional. En France, même si le travail demeure l’élément clef de socialisation, les relations sont empreintes d’une méfiance réciproque. Les salariés considèrent qu’ils ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs compétences et que leur travail n’est pas reconnu ; les employeurs jugent la qualité du travail insuffisant et son coût prohibitif. Il en résulte une crispation et l’impossibilité de mettre en œuvre des réformes reposant sur un consensus. Par l’absence d’échelons de négociation de proximité, tout remonte aux extrêmes tant au niveau des idées à défendre qu’au niveau des échelons représentatifs. 

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