La croissance, c’est du capital, du travail et du progrès
technique. L’économie, c’est une somme de contrats. La valeur du contrat repose
dans la confiance réciproque des signataires et sur le principe d’un partage
équitable des gains générés. Aujourd’hui, nous ne manquons pas de capital, ni
de travail. En ce qui concerne le progrès technique, la situation est plus
ambigüe, d’un côté, la productivité décline et le principe de précaution
aboutit à condamner toute innovation ; de l’autre, nous restons friands de
biens technologiques. En outre, le nombre brevets concoctés à l’échelle
mondiale s’accroît. En revanche, la défiance gangrène nos relations
économiques. Le socle juridique est fragilisé par l’instabilité. Les acteurs habitués
à une relation dominants/dominés que l’Etat a institué en modèle, l’applique en
lieu et place d’une relation équilibrée gagnant/gagnant.
Il faut cesser de penser que l’économie, c’est la poursuite
de la guerre par d’autre moyens. L’économie ne vise qu’à satisfaire les besoins
des femmes et des hommes. La guerre économique que les Français aiment mettre
en avant est une vision étriquée. Depuis Louis XIV, l’économie est, en France
au service de la guerre qu’elle soit réelle ou imaginée. La création des
grandes compagnies nationales ou de la marine n’avait comme objectif que
d’assurer le rayonnement de la Couronne royale et de renforcer les capacités
militaires du Royaume. Les nobles ne pouvant avoir comme métier que d’être des
guerriers ne développaient pas d’activité économique et commerciales de peur de
déroger à leur statut n’ont guère favorisé le décollage du pays. Les régimes se
sont succédé sans pour autant changer la donne, l’économie n’est perçue que
comme une intendance qui doit suivre les besoins d’un Etat au service du
rayonnement du pays. Habitué que l’Etat régente pour son profit l’univers
économique, les citoyens déclinent entre eux ce type de comportement.
L’économie est avant tout perçue comme un jeu à somme nulle où les plus malins
peuvent gagner au détriment des faibles, des perdants.
Notre relation avec la puissance publique est schizophrène
et nous sommes en permanence de mauvaise foi. Nous considérons que l’Etat, les
régimes sociaux, les collectivités locales nous rackettent et nous enlèvent le
pain de la bouche tout en oubliant des services qu’ils nous rendent, des
externalités qu’ils nous procurent. Les infrastructures, la formation, la
sécurité même si parfois elle laisse à désirer sont la contrepartie des
prélèvements effectués. Les prestations sociales contribuent tout à la fois à
la demande finale et à la sécurité du système. Certes, il est tout à fait
admissible de souligner que l’efficience de la dépense publique est mauvaise
mais, c’est un tout autre débat. Notre relation au pouvoir est complexe car
nous somme la vivons comme une relation de sujet à maître et non comme une
relation équilibrée. Le Président de la République est l’héritier des rois de
la monarchie absolue et non simplement un Français élu pour nous représenter.
De ce fait, nous éprouvons une vive tentation de lui raccourcir la tête. Nous
attendons que l’Etat règle tous nos problèmes, les petits comme les grands tout
en le critiquant en permanence. La popularité des élus ne dure que le jour de
l’élection et des quelques qui suivent. Nous oublions qu’en critiquant le
Président, le Gouvernement, bien souvent nous critiquons notre pays et
nous-même. Nous contribuons à saper le pacte républicain qui nous lie.
Ayant tout focalisé sur la relation verticale que nous
entretenons avec le sommet de la pyramide administrative et politique, nous
avons négligé nos relations horizontales. La Révolution nous a encouragés à le
faire en supprimant les corps intermédiaires avec la loi Le Chapelier de 1791.
Nous sommes des satellites de l’astre suprême et nous nous comportons dans nos
relations privées comme des sous-ensembles de cet astre. Nous singeons l’Etat.
La verticalité des relations sociales et économiques est
prégnante en matière sociale où les négociations doivent être nationales et ne
peuvent pas se concevoir sans l’Etat. Les partenaires sociaux pour la réforme
des retraites en 2013 ont eu avant tout des dialogues avec le Gouvernement.
Même pour les négociations qui sont conduites par les partenaires sociaux,
l’Etat est bien souvent présent et tient la plume.
Les collectivités locales vivent également dans la
verticalité. C’est l’Etat qui organise leur vie à travers les transferts de
compétences. Les pouvoirs transférés sont avant tout concédés, ils sont
encadrés et limités. Quand les départements reçoivent comme mission de
s’occuper des collèges, cela signifie qu’ils la charge de construire des
établissements au profit de l’éducation nationale qui détermine le nombre de
professeurs, les nomme et fixe le programme. La verticalité s’exprime également
via les financements, l’Etat concédant quelques impôts mais s’arrogent de
diriger l’action des collectivités locales à travers les diverses dotations.
La redynamisation de l’économie française passe par la
restauration de solidarité de proximité entre les acteurs. Nous manquons
cruellement de réseaux économiques de terrain. Il n’est pas étonnant que ce
soit des territoires animés par des solidarités familiales comme en Vendée qui
s’en sortent le mieux en termes économiques. Cette coopération économique est
également une clef du succès allemand. Les entreprises d’un même bassin
économique tissent des liens forts leur permettant de gérer ensemble les
problèmes conjoncturels. Tout en étant concurrentes, elles peuvent mener des
programmes de recherche en commun. Il n’est pas rare qu’une entreprise fasse
profiter ses consoeurs de ses innovations. En Allemagne, l’économie n’est pas
une guerre mais une aventure menée par des entreprises liées entre elles par
des solidarités familiales et historiques. L’Allemagne est une création
historique récente. Unifiée par Bismarck en 1871, elle fut, en outre, divisée
en deux de 1949 à 1989. L’économie allemande repose sur une multitude de villes
riches de leur histoire. Pour développer leur activité, les entreprises ont du
tout à la fois s’imposer dans leur bassin d’origine mais tisser des liens dans
les villes et régions voisines sans passer par un échelon national qui
n’existait pas ou qui était sauf durant de rares périodes pas toujours
heureuses plus faible qu’en France.
Le comportement des entreprises allemandes durant les crises
est très différent de celui de leurs homologues français. L’entreprise
allemande essaie autant que possible de maintenir ses effectifs afin de
disposer au mieux de capacités de rebond. Les dirigeants allemands restent
optimistes à moyen terme et à long terme quand le pessimisme règne en France.
Ainsi Trumph, une entreprise spécialisée dans la conception de robots de
découpe laser a durant la Grande récession de 2009, a été confrontée à une
réduction drastique de ses commandes. Face à cette situation sans précédent
pour cette entreprise, la direction a décidé de placer une grande partie du personnel
en formation et d’investir sur de nouvelles machines. En 2010 et 2011, au
moment de la reprise, Trumph a réussi à enregistrer ses plus forts taux de
croissance de son histoire. La logique en vigueur outre-Rhin est d’améliorer en
permanence la performance des salariés en jouant sur leur productivité. Les
responsables français se focalisent trop sur le coût du travail et sur l’apport
positif ou négatif des mini-jobs en Allemagne. En moyenne, le coût du travail
est supérieur ou équivalent chez nos voisins. La durée de travail y est
inférieure. Ce qui change, c’est l’implication professionnelle, l’existence d’un
pacte entre employeurs et salariés ainsi que la recherche de gains de
productivité par intégration de biens et services en provenance de pays à plus
faibles coûts. Les relations économiques et sociales, en Allemagne, cherchent
par définition d’intégrer les salariés à la communauté professionnelle au sein
de l’entreprise et au sein d’un ensemble régional. En France, même si le
travail demeure l’élément clef de socialisation, les relations sont empreintes d’une
méfiance réciproque. Les salariés considèrent qu’ils ne sont pas rémunérés à la
hauteur de leurs compétences et que leur travail n’est pas reconnu ; les
employeurs jugent la qualité du travail insuffisant et son coût prohibitif. Il
en résulte une crispation et l’impossibilité de mettre en œuvre des réformes
reposant sur un consensus. Par l’absence d’échelons de négociation de
proximité, tout remonte aux extrêmes tant au niveau des idées à défendre qu’au
niveau des échelons représentatifs.
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