L’année dernière, il s’en est fallu d’un fil que l’Ecosse
devienne indépendante ; aujourd’hui, c’est au tour de la Catalogne de
vouloir se séparer de Madrid. En Belgique, les Flamands et les Wallons
pourraient un jour ou l’autre divorcer. La question de l’indépendance pourrait également
devenir d’actualité en Lombardie, en Corse, en Martinique, en Guadeloupe, en
Sardaigne, au Pays de Galles ou au Pays Basque.
L’Europe mosaïque d’Etats depuis l’éclatement du Saint
Empire avait connu un processus d’unification au cours du 19ème
siècle avec l’émergence des grandes nations. Ces dernières ont, tout à la fois,
amené une certaine stabilité tout en étant la source de deux conflits mondiaux.
Plus de 70 ans après la Seconde guerre mondiale, plus de 25 ans après la chute
du mur de Berlin, les tentations sécessionnistes se développent.
Les dernières demandes d’indépendance s’effectuent de plus
en plus sans le recours à la violence et passent de plus en plus par les urnes.
Que ce soit au Pays Basque ou en Corse, les attentats ont cessé. Le combat est
devenu essentiellement politique. Le contrôle des centres de pouvoirs qu’ils soient
économiques ou politiques prend le pas sur la lutte armée.
Comment expliquer le renouveau des mouvements
séparatistes ?
L’indépendance peut avoir comme objectif de mettre un terme
à une domination, à du pouvoir central. En Europe, l’oppression est relative
compte tenu de l’état de droit qui y règne. Néanmoins, le ressenti compte
autant que les faits. Il peut y avoir le sentiment que le pouvoir central
impose de manière unilatérale sa loi. Les Etats centralisés sont évidemment
plus exposés à ce risque que les Etats fédéraux.
Ces demandes séparatistes reposent bien souvent sur
l’histoire. En Corse, la référence est la publication de la première
constitution écrite en 1735 et le combat de de Pascal Paoli en faveur de l’indépendance.
Il y a aussi derrière toute demande d’indépendance une volonté de tirer un
trait sur le passé, de remettre en cause des annexions jugées illégitimes, de
demander des réparations par rapport à des injustices commises. Ainsi, en
Corse, le souvenir de la Première Guerre Mondiale qui s’est soldé par un nombre
de Corses tués au combat très élevé au regard de leur poids démographique reste
très vivace.
Les séparatistes accusent, en règle générale, le pouvoir
central de nier l’existence de leur culture et de leurs spécificités. L’indépendance
est réclamée au nom du principe du droit des peuples à disposer d’eux même. Ce
principe énoncé par les philosophes des Lumières figurait parmi les « quatorze
points de Wilson » nom donné au programme du président des États-Unis Woodrow
Wilson pour mettre fin à la Première Guerre mondiale, programme et qui fut
présenté le 8 janvier 1918 devant le Congrès des États-Unis. Ce principe du
droit à l’autodétermination des peuples a été repris dans la Charte des Nations
Unies de 1945.
Cette volonté d’assurer le pouvoir repose sur l’existence
d’un peuple distinct de celui la nation englobante. Il y a le refus d’être
soumis à un peuple autre. Derrière la demande d’indépendance, il y a la crainte
de disparaître dans un ensemble trop vaste, d’une uniformisation de la culture,
des traditions. Il y a la peur de la colonisation par une population extérieure
non assimilable. L’irrédentisme au temps de la globalisation et de la
mondialisation redonne un cadre de pensée. Après la faillite des grandes
idéologies du 19ème et du 20ème siècles, il y a le retour
à un nationalisme régionaliste. Ce sont souvent les jeunes victimes de la crise
et les jeunes actifs qui portent le discours indépendantiste. Il y a une soif
d’existence et de reconnaissance.
L’indépendance est souvent réclamée au nom de la défense des
intérêts économiques et sociaux. Tel est l’argument avancé par les Catalans.
Ils accusent Madrid de vivre à leurs crochets. Ils considèrent que leur région
pourrait connaître une expansion bien plus rapide en étant indépendante. Il en
est de même pour les Flamands vis-à-vis des Wallons et de Bruxelles. Des
régions accusant des retards économiques et sociaux ou étant victimes d’un long
et fort ralentissement économique peuvent être tentées de jouer leur partition
en solitaire d’autant plus si l’Etat central apparaît comme incapable de mettre
un terme à cette situation.
Le séparatisme est une affaire avant tout politique. Il
prend tout son relief à partir du moment où les élites de la région considérée
ont l’impression de ne pas être écoutés et de ne pas avoir de prise sur les
décisions prises. La volonté de pouvoir être maître de son destin prime. Il y a
une volonté de revanche et de laver l’humiliation des années passées.
Le séparatisme prospère avec la perte de légitimité de
l’Etat central. Les crises économiques qui minent de nombreux Etats européens constituent
un indéniable terreau. Les Etats des vieilles nations sont tout à la fois jugés
incapables de trouver des solutions et perclus de dettes. Faute de moyens, les
Etats doivent réduire les flux d’aides tout en prélevant davantage. Il en
résulte une montée des frustrations. Pourquoi subir la domination d’un centre
jugé illégitime et pauvre ?
Cette soif d’indépendance est le signe d’une crise de la
démocratie. Le développement de systèmes représentatifs et de l’état de droit
ont été le ciment des nations. Ils ont permis de venir à bout de nombreux
irrédentismes. Aujourd’hui, le fait démocratique pose problème. Les crises
économiques, la lutte contre le terrorisme et les techniques modernes de
communication ont abouti à une concentration du pouvoir ou du moins à une
focalisation des médias et de l’opinion
sur les exécutifs. Le législatif est de plus en plus une chambre
d’enregistrement dont la capacité de résonnance est bien faible face aux bruits
et à l’immédiateté des réseaux sociaux.
Cette évolution institutionnelle rapproche le pouvoir des citoyens car
il est en permanence sous les feux des projecteurs mais elle l’éloigne
également. En effet, en le banalisant, en soulignant son incapacité à agir sur
le quotidien, cette évolution aboutit à démystifier le pouvoir central. Il
n’est plus admiré, il n’est plus craint. Il est nu avec ses faiblesses. En
outre, le temps démocratique apparaît bien long face au temps d’Internet. Les
citoyens sont de mieux en mieux formés et informés. Ils sont de plus en plus
nombreux à vouloir participer à la vie publique non plus à travers les canaux
habituels, les partis politiques ou les syndicats mais par l’intermédiaire des
réseaux sociaux ou d’associations défendant des causes spécifiques.
L’indépendance en rapprochant le centre du pouvoir est perçue comme une
solution pour être écouté.
L’éventuelle sécession de la Catalogne pourrait créer un
précédent en Europe. Afin d’éviter tout effet de contagion, la Commission de
Bruxelles a clairement indiqué que la Catalogne indépendante ne serait pas automatiquement
membre de droit de la zone euro et de l’Union européenne. Or, sans le
rattachement à l’Europe, l’indépendance serait sur le plan économique un
exercice de haute voltige. Compte tenu de l’importance des échanges
commerciaux, du poids du tourisme, la Catalogne, sans en Europe, pourrait
connaître un long hiver. Au-delà de ces effets, de manche, la montée des irrédentismes
ne peut pas être niée et suppose de la part des Etats des réponses adéquates. Celles-ci
doivent être sans nul doute d’ordre économique et institutionnel. Les Etats
fédéraux avec le respect de règles de subsidiarité apparaissent plus à même de
résister aux tentations séparatistes. La France avec son centralisme chevillé
au corps pourrait être confrontée à des demandes en provenance de Corse ou
d’Outre-Mer. Une plus grande autonomie semble s’imposer avec également une
meilleure représentation des régions au sein du Sénat. Ce dernier devrait sur
le modèle du Bundesrat allemand représenter toutes les tendances régionales. Ce
sont les conseils régionaux qui devraient désigner les sénateurs. Une autre
solution consisterait à ce qu’ils soient élus à la proportionnelle dans le
cadre régional. Pour lutter contre le séparatisme, une péréquation économique
entre régions riches et pauvres doit être instaurée. Elle doit être
transparente et reposer sur des critères clairs.
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