mercredi 30 septembre 2015

Le temps des indépendances marshmallow




L’année dernière, il s’en est fallu d’un fil que l’Ecosse devienne indépendante ; aujourd’hui, c’est au tour de la Catalogne de vouloir se séparer de Madrid. En Belgique, les Flamands et les Wallons pourraient un jour ou l’autre divorcer. La question de l’indépendance pourrait également devenir d’actualité en Lombardie, en Corse, en Martinique, en Guadeloupe, en Sardaigne, au Pays de Galles ou au Pays Basque.

L’Europe mosaïque d’Etats depuis l’éclatement du Saint Empire avait connu un processus d’unification au cours du 19ème siècle avec l’émergence des grandes nations. Ces dernières ont, tout à la fois, amené une certaine stabilité tout en étant la source de deux conflits mondiaux. Plus de 70 ans après la Seconde guerre mondiale, plus de 25 ans après la chute du mur de Berlin, les tentations sécessionnistes se développent.

Les dernières demandes d’indépendance s’effectuent de plus en plus sans le recours à la violence et passent de plus en plus par les urnes. Que ce soit au Pays Basque ou en Corse, les attentats ont cessé. Le combat est devenu essentiellement politique. Le contrôle des centres de pouvoirs qu’ils soient économiques ou politiques prend le pas sur la lutte armée.

Comment expliquer le renouveau des mouvements séparatistes ?

L’indépendance peut avoir comme objectif de mettre un terme à une domination, à du pouvoir central. En Europe, l’oppression est relative compte tenu de l’état de droit qui y règne. Néanmoins, le ressenti compte autant que les faits. Il peut y avoir le sentiment que le pouvoir central impose de manière unilatérale sa loi. Les Etats centralisés sont évidemment plus exposés à ce risque que les Etats fédéraux.

Ces demandes séparatistes reposent bien souvent sur l’histoire. En Corse, la référence est la publication de la première constitution écrite en 1735 et le combat de de Pascal Paoli en faveur de l’indépendance. Il y a aussi derrière toute demande d’indépendance une volonté de tirer un trait sur le passé, de remettre en cause des annexions jugées illégitimes, de demander des réparations par rapport à des injustices commises. Ainsi, en Corse, le souvenir de la Première Guerre Mondiale qui s’est soldé par un nombre de Corses tués au combat très élevé au regard de leur poids démographique reste très vivace.

Les séparatistes accusent, en règle générale, le pouvoir central de nier l’existence de leur culture et de leurs spécificités. L’indépendance est réclamée au nom du principe du droit des peuples à disposer d’eux même. Ce principe énoncé par les philosophes des Lumières figurait parmi les « quatorze points de Wilson » nom donné au programme du président des États-Unis Woodrow Wilson pour mettre fin à la Première Guerre mondiale, programme et qui fut présenté le 8 janvier 1918 devant le Congrès des États-Unis. Ce principe du droit à l’autodétermination des peuples a été repris dans la Charte des Nations Unies de 1945.

Cette volonté d’assurer le pouvoir repose sur l’existence d’un peuple distinct de celui la nation englobante. Il y a le refus d’être soumis à un peuple autre. Derrière la demande d’indépendance, il y a la crainte de disparaître dans un ensemble trop vaste, d’une uniformisation de la culture, des traditions. Il y a la peur de la colonisation par une population extérieure non assimilable. L’irrédentisme au temps de la globalisation et de la mondialisation redonne un cadre de pensée. Après la faillite des grandes idéologies du 19ème et du 20ème siècles, il y a le retour à un nationalisme régionaliste. Ce sont souvent les jeunes victimes de la crise et les jeunes actifs qui portent le discours indépendantiste. Il y a une soif d’existence et de reconnaissance.

L’indépendance est souvent réclamée au nom de la défense des intérêts économiques et sociaux. Tel est l’argument avancé par les Catalans. Ils accusent Madrid de vivre à leurs crochets. Ils considèrent que leur région pourrait connaître une expansion bien plus rapide en étant indépendante. Il en est de même pour les Flamands vis-à-vis des Wallons et de Bruxelles. Des régions accusant des retards économiques et sociaux ou étant victimes d’un long et fort ralentissement économique peuvent être tentées de jouer leur partition en solitaire d’autant plus si l’Etat central apparaît comme incapable de mettre un terme à cette situation.

Le séparatisme est une affaire avant tout politique. Il prend tout son relief à partir du moment où les élites de la région considérée ont l’impression de ne pas être écoutés et de ne pas avoir de prise sur les décisions prises. La volonté de pouvoir être maître de son destin prime. Il y a une volonté de revanche et de laver l’humiliation des années passées.

Le séparatisme prospère avec la perte de légitimité de l’Etat central. Les crises économiques qui minent de nombreux Etats européens constituent un indéniable terreau. Les Etats des vieilles nations sont tout à la fois jugés incapables de trouver des solutions et perclus de dettes. Faute de moyens, les Etats doivent réduire les flux d’aides tout en prélevant davantage. Il en résulte une montée des frustrations. Pourquoi subir la domination d’un centre jugé illégitime et pauvre ?

Cette soif d’indépendance est le signe d’une crise de la démocratie. Le développement de systèmes représentatifs et de l’état de droit ont été le ciment des nations. Ils ont permis de venir à bout de nombreux irrédentismes. Aujourd’hui, le fait démocratique pose problème. Les crises économiques, la lutte contre le terrorisme et les techniques modernes de communication ont abouti à une concentration du pouvoir ou du moins à une focalisation des médias et de l’opinion  sur les exécutifs. Le législatif est de plus en plus une chambre d’enregistrement dont la capacité de résonnance est bien faible face aux bruits et à l’immédiateté des réseaux sociaux.  Cette évolution institutionnelle rapproche le pouvoir des citoyens car il est en permanence sous les feux des projecteurs mais elle l’éloigne également. En effet, en le banalisant, en soulignant son incapacité à agir sur le quotidien, cette évolution aboutit à démystifier le pouvoir central. Il n’est plus admiré, il n’est plus craint. Il est nu avec ses faiblesses. En outre, le temps démocratique apparaît bien long face au temps d’Internet. Les citoyens sont de mieux en mieux formés et informés. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir participer à la vie publique non plus à travers les canaux habituels, les partis politiques ou les syndicats mais par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou d’associations défendant des causes spécifiques. L’indépendance en rapprochant le centre du pouvoir est perçue comme une solution pour être écouté.


L’éventuelle sécession de la Catalogne pourrait créer un précédent en Europe. Afin d’éviter tout effet de contagion, la Commission de Bruxelles a clairement indiqué que la Catalogne indépendante ne serait pas automatiquement membre de droit de la zone euro et de l’Union européenne. Or, sans le rattachement à l’Europe, l’indépendance serait sur le plan économique un exercice de haute voltige. Compte tenu de l’importance des échanges commerciaux, du poids du tourisme, la Catalogne, sans en Europe, pourrait connaître un long hiver. Au-delà de ces effets, de manche, la montée des irrédentismes ne peut pas être niée et suppose de la part des Etats des réponses adéquates. Celles-ci doivent être sans nul doute d’ordre économique et institutionnel. Les Etats fédéraux avec le respect de règles de subsidiarité apparaissent plus à même de résister aux tentations séparatistes. La France avec son centralisme chevillé au corps pourrait être confrontée à des demandes en provenance de Corse ou d’Outre-Mer. Une plus grande autonomie semble s’imposer avec également une meilleure représentation des régions au sein du Sénat. Ce dernier devrait sur le modèle du Bundesrat allemand représenter toutes les tendances régionales. Ce sont les conseils régionaux qui devraient désigner les sénateurs. Une autre solution consisterait à ce qu’ils soient élus à la proportionnelle dans le cadre régional. Pour lutter contre le séparatisme, une péréquation économique entre régions riches et pauvres doit être instaurée. Elle doit être transparente et reposer sur des critères clairs.


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