Depuis sa création, des économistes,
notamment américains, prédisent un sort funeste à l’euro qui est une création
sui generis. Elle a le tort de ne pas être la monnaie d’un État constitué. La
zone monétaire de l’euro serait surtout aux yeux de ses détracteurs loin d’être
optimale. Selon les thèses des économistes Mundell (Prix Nobel d’Economie
1999), McKinnon et Kennen, une zone monétaire optimale se caractérise par
l’absence de chocs asymétriques (chocs intervenant que dans une partie de la
zone), par la mobilité des facteurs de production, des biens, des services et
des capitaux et par la mise en place de mécanismes d’ajustement. Pour Kennen,
les économies intégrant la zone monétaire se doivent d’être diversifiées afin
de supporter le mieux possible d’éventuels chocs asymétriques. Pour
l’économiste Johnson auteur de « Further essays in monetory theory »,
un budget fédéral est indispensable pour compenser la disparition de l’arme des
changes. L’intégration budgétaire et fiscale permet de conduire des actions en
faveur d’États ou de régions devant faire face à une crise. Enfin, les
économies au sein d’une zone monétaire sont censées converger et non diverger.
Pour la petite histoire, le pape de
la zone monétaire optimale a été un ardent défenseur de la monnaie unique
européenne.
Une zone monétaire réussie suppose
donc une forte intégration commerciale ce qui est le cas pour l’Europe. Elle
est conditionnée par une libre circulation des biens, des services, des
capitaux et des hommes.
Dès le départ, la zone euro n’était
pas à 100 % optimale du fait de l’hétérogénéité des économies des États
membres, des barrières linguistiques qui freinent les migrations et la
réduction des poches de chômage, de l’absence de mécanismes permettant de
réaliser des transferts financiers.
La convergence espérée à la création
de la monnaie unique a vite tourné à l’illusion. Les États membres ont accru
leur spécialisation, l’Allemagne et l’Europe du Nord ont dégagé des excédents
industriels croissants quand le Sud s’est spécialisé dans la consommation et
les services. Le Nord a accumulé les excédents quand le Sud a empilé les
déficits. Tant que le Nord a prêté sans sourciller, le système a fonctionné. A
partir du moment où la croissance a faibli dans le Sud et après la crise financière
de 2008/2009, les flux financiers se sont taris entraînant avec eux la Grèce et
quelques autre dans la tourmente.
Cette divergence ne serait pas un
problème à condition de ne pas suivre les résultats des balances commerciales.
En France, il y a des régions à dominante touristique et d’autres à dominante
industrielle ou agricole…
L’absence de corde de rappel
La crise grecque a été un très bon
révélateur des problèmes auxquels pouvaient être confrontée la zone euro. La
Grèce, petit État de 11 millions d’habitants, est confrontée à un choc
asymétrique se caractérisant par une insolvabilité liée à d’importants déficits
des paiements courants et du budget. À la différence
de ce qui peut se produire au sein d’un État unifié, il n’y a pas au sein de la
zone euro de mécanismes reposant sur des transferts financiers permettant de
combler les déficits. Entre deux régions françaises, nul ne regarde les
balances commerciales ou les comptes courants. Les transferts sont, en France,
nombreux entre les différentes régions. Le paiement des pensions de retraite,
les indemnités chômage, l’investissement public, les dotations aux
collectivités locales contribuent à équilibrer les comptes à l’intérieur du
territoire français. En Europe, le budget ne joue pas le rôle d’amortisseur des
chocs économiques et sociaux. Il représente 1 % du PIB et sert avant tout à
financer la politique agricole commune et les actions en faveur du
développement des nouveaux membres (FEDER).
En cas de choc asymétrique, la
solution qui a été mise en œuvre est d’assurer la solvabilité de l’État en
instituant le Fonds Européen de Stabilité Financière et le Mécanisme Européen
de Stabilité Financière. En revanche, le retour à l’équilibre est à la charge
des États membres qui doivent alors respecter les plans décidés par les
autorités européennes voire le FMI. Afin de réduire les déficits extérieurs,
les États concernés doivent réduire leurs importations et donc leurs
consommations. Afin d’améliorer leur compétitivité et rééquilibrer le budget,
la maitrise des salaires, des prestations et l’augmentation des impôts sont
incontournables.
La monnaie est donc commune mais en
cas de crise, les charges sont individualisées. Avec la crise de 2008-2009, la mutualisation
recule. Il est ainsi constaté une moindre mobilité des capitaux entre les pays
de la zone euro. Il y a une renationalisation des financements avec un
intervenant de nature fédérale qui est la Banque Centrale Européenne. Les
excédents d’épargne de l’Allemagne et des Pays-Bas ne sont plus prêtés aux
autres pays de la zone euro. L’épargne nationale de chacun des États et la
Banque Centrale Européenne permettent d’assurer le financement des déficits des
pays périphériques. Cela oblige, comme avant l’instauration de la monnaie
commune, à réduire au maximum les déficits extérieurs.
L’autre conséquence de cette absence
de mutualisation est la création d’un excès global d’épargne. Il en résulte un
déficit de consommation et d’investissement pesant sur le niveau de la
croissance potentielle. Du fait de l’aversion totale, les Allemands et les
Néerlandais privilégient les obligations d’État au détriment de l’économie
réelle.
La marche vers l’optimum
Par nature, il y aura d’autres
crises asymétriques surtout avec des économies ayant des caractéristiques
différentes. Un grand État comme la France, l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne
pourrait être concerné. Pour le moment, les États membres préfèrent être face
au mur pour trouver les solutions à mettre en œuvre pour éviter l’implosion.
Une crise frappant qu’un ou un nombre réduit d’États dans la zone euro ne peut
que générer de l’incompréhension et de la suspicion. Si ces États ont des
problèmes, c’est que leur gouvernement a failli. Ils n’ont pas à faire supporter
aux autres États membres les frais de leur incompétence. Sauf que dans une zone
monétaire, la solidarité est de mise… Dans un discours prononcé le 8 juin
dernier à l’Institut allemand pour la recherche économique à Berlin, le
Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galheau a indiqué que
« même si l’Union monétaire est un succès, l’Union monétaire reste à
construire ». Il a également toujours sur ce sujet cité Helmut Schmidt
qui, en 2011, avait souligné que « nous n’avons pas réussi à définir des
règles du jeu économiques pour l’Union monétaire. Aucune autorité responsable
de la politique budgétaire et économique dotée de pouvoirs forts a été
créée ».
Le Gouverneur de la Banque de France
estime que l’Europe paie chère l’absence de coordination, entre 2 à 5 points de
PIB et des millions d’emplois en moins depuis 2008. Il appelle de ses vœux la
nomination d’un ministre des finances de la zone euro et la création d’une
direction du Trésor européen. Il souhaite également que les députés européens
membres de la zone euro puissent se réunir en section du Parlement afin
d’adopter des textes spécifiques. La création d’une telle section viserait à
améliorer le contrôle démocratique sur les affaires relevant de la zone euro.
Certes, cette parcellisation irait à l’encontre du traité de Maastricht qui
prévoyait aucune différence de traitement entre les États membres de l’Union
selon le principe que la monnaie commune avait vocation de devenir celle de
tous un jour ou l’autre.
Le Gouverneur de la Banque de France
a émis également l’idée de la mise en œuvre d’une Union de financement et
d’investissement. Cette union aurait comme objectif de faciliter le financement
des acteurs privés en freinant la tendance de segmentation de la place
financière européenne. Cette union devrait permettre une diversification accrue
des modes de financement. En 2015, le financement des entreprises par émission
d’actions est deux fois moins important en Europe qu’aux États-Unis, 52 % du
PIB contre 121 %. Le financement par actions est l’instrument qui atténue les
chocs asymétriques. Il est moins volatil que le financement par endettement et
améliore la capacité de résistance des entreprises à des conditions
défavorables. Ce mode de financement amortirait 40 % d’un choc économique
spécifique à un État des États-Unis. Au sein de la zone, le partage des risques
est insuffisant ce qui génère rapidement une montée aux extrêmes en cas de
crise asymétrique.
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