La crise grecque symbolise la déliquescence de la
construction européenne telle qu’elle avait été imaginée après la Seconde
guerre mondiale. Afin de de ne pas renouer avec les nationalismes du passé et
afin de peser face aux Etats-Unis, les Européens avaient décidé de se
rassembler autour de quelques projets. Les fondateurs, en 1951 comme en 1957,
avaient opté pour une démarche progressive tant au niveau des pays membres qu’au
niveau des compétences. L’idée de la monnaie unique est née à la fin des années
soixante avec le plan Werner-Barre dans un souci de neutraliser les variations
de change qui remettaient en cause le principe de libre circulation des biens,
des services et des hommes. Les dévaluations et les réévaluations rendaient
complexes la gestion de la politique agricole commune qui reposaient alors sur
des subventions en fonction des prix.
La construction européenne a connu des échecs mais jamais
après la mise en œuvre d’un accord ou d’un traité. Par deux fois, la France a
rejeté des projets qu’elle avait initiés, celui sur la Communauté Européenne de
la Défense et l’autre sur le Traité constitutionnel de 2005. Le rejet par
référendum de ce projet a sans nul doute constitué une rupture. Depuis, l’Europe
gère l’existant sans passion et tente de survivre. Si la crise financière de
2008 /2009 a été surmontée, celle de 2011/2012 ne l’a pas été encore comme le
prouve l’affaire grecque.
Que les Européens n’arrivent à s’entendre pour régler une
dette de 320 milliards d’euros est incompréhensible. Pour mémoire, cette dette
grecque est une goutte d’eau comparée à celle de la France qui dépasse 2000
milliards d’euros. Elle représente 15 % du PIB français ou 3 % du PIB de la
zone euro.
Que le système fiscal grec ne soit pas performant, que le
niveau de certaines prestations sociales ne soit pas en phase avec la création
de richesse, tout le monde l’admet. Mais, comment croire que seule la rigueur
permettra de revenir à la situation normale. Depuis cinq ans, le PIB de la Grèce
a été amputée d’un quart. Le taux de chômage dépasse 24 %. Contrairement à ce
que prétendent certains, des efforts ont été réalisés en matière de retraite,
de traitement dans la fonction publique. La preuve, avant l’arrivée d’Alexis
Tsipras, le solde budgétaire hors paiement des intérêts était redevenu positif,
le chômage baissait et la croissance était de retour.
La Grèce qui a profité des fonds européens et qui a connu
une expansion non négligeable de 1999 à 2008 ne voit plus dans l’Europe que des
pères fouettards. A leur décharge, les prêts consentis depuis quatre ans sont
assortis de taux d’intérêt élevés. Par ailleurs, la succession de plans donnent
l’impression qu’il n’y pas de fin à cette spirale destructrice.
Le défaut de la monnaie unique, depuis sa création, c’est l’absence
de structures budgétaires fédérales. Pour endiguer les crises financières, l’Europe
a créé des structures fédérales ou quasi-fédérales avec le Fonds Européen de
Stabilité Financière et le Mécanisme Européen de Stabilité Financière. En revanche,
il n’y a pas de fonds européen d’investissement conjoncturel permettant de
venir en aide à un pays en difficulté. Aux Etats-Unis, quand un Etat comme la
Californie rencontre des problèmes, il y a des dispositifs de soutien fédéraux.
En France, nul n’imagine établir une carte des dettes, des
balances commerciales par régions, Or, nous savons tous que de très nombreuses
régions sont structurellement déficitaires quand seulement quelques-unes sont
excédentaires. Pourtant par le jeu des subventions, des transferts financiers,
pensions de retraite, prestations sociales, in fine, un équilibre s’instaure.
Au sein de l’Europe, rien de tout cela n’existe.
La crise grecque est révélatrice du manque de courage et d’ambition
de l’Europe. Elle peut être le début d’un phénomène de déconstruction. Si nous
ne sommes pas capables de sauver le soldat grec, serons-nous capable de sauver
le soldat français, espagnol, italien ou belge. A un moment ou un autre, un
autre Etat sera frappé par une crise, c’est incontournable. Dans le passé, tous
les Etats ont fait faillite, la France dix fois, l’Espagne quatorze fois, l’Allemagne
plusieurs fois…. Comment faire admettre aux Européens dans un an, dans cinq ans
ou dans dix ans, que l’exclusion n’est pas la meilleure des solutions quand un
Etat a failli. C’est évidemment la fin de l’Europe que nous sommes en train d’entériner,
c’est la fin d’une certaine conception de la solidarité interétatique.
L’Europe est en panne d’idées depuis dix ans et elle le paie
très chère. Il faut toujours avancer faute de quoi on tombe. La crise grecque
aurait dû entrainer une prise de conscience sur les faiblesses de la zone euro.
Le nationalisme et le repli sur soi sont redevenus à la mode. La crise de 2008
n’a fait qu’exacerber les mauvais sentiments. L’Allemagne dont la force
économique s’est construite grâce à la capacité des Européens et notamment ceux
du Sud opte pour un comportement de créancier à court terme considérant que
maintenant son avenir est au-delà du Continent.
Les Européens sont prêts à faire une croix sur 320 milliards
d’euros de dettes de peur de devoir octroyer quelques milliards de plus. C’est
une stratégie de suicide collectif qui risque de plonger la Grèce dans un
nouveau moyen-âge et l’Europe dans une crise de défiance généralisée. L’Europe
semble être incapable de retenir les leçons du passé et préfèrent toujours la
division, l’égoïsme à l’union et à la solidarité. Le principal échec de ces
soixante ans de construction européenne, c’est que l’esprit européen reste
encore à bâtir.
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