De l’honorabilité de la rémunération
Ou pourquoi l’actionnaire n’est pas un criminel
Il est de bon ton de stigmatiser les détenteurs de capitaux. Ils se seraient enrichis sur le dos des salariés et seraient les responsables de l’actuelle récession. La chute des cours de bourse ne serait que justice.
Les actionnaires seraient les grands gagnants des dernières décennies ; leurs gains auraient été réalisés au détriment des actifs et des salariés modestes en priorité. Ce n’est pas en répétant des formules toutes faites qu’on les transforme en vérité.
En France, tout particulièrement, l’actionnaire est un personnage maudit, un quasi usurier. Contre-sens totale ; sur ces vingt dernières années, en France, le rendement des actions hors dividendes est inférieur à celui des obligations.
Selon une étude réalisée la London School Business, ce constat se vérifie également sur très longue période. Depuis 1900, le rendement réel des actions sans dividende est, aux Etats-Unis, de 1,7 % contre 2,1 % pour les obligations et de 1 % pour les valeurs monétaires. Pour la France, le rendement des actions est de 0,7 %. Ce taux est de -0,8 % en Allemagne et de -1,4 % au Japon. A l’échelle mondiale, le taux est de 1 %.
Le versement des dividendes qui correspond à une partie des bénéfices réalisés par les entreprises grâce au travail des salariés mais aussi grâce aux apporteurs de capitaux corrige à la hausse ces taux. Ainsi, aux Etats-Unis, le taux de rendement des actions en intégrant le versement des dividendes est 6 % depuis 1900 ; il est de 3,2 % en France, de 2,8 % en Allemagne, de 3,8 % au Japon. Au niveau mondial, ce taux est de 5,2 %.
Ces taux ne sont pas déraisonnables. L’actionnaire prend des risques en confiant une partie de son épargne à des entrepreneurs. L’appréciation de son capital et la rémunération (les dividendes) ne sont en rien garanties au préalable. S’il opte pour des obligations, il connaît dès le départ les conditions de rémunération. Il peut, certes, ne pas retrouver son capital en cas de faillite de l’entreprise mais dans ce cas l’actionnaire est encore plus mal loti.
Comme en témoigne la crise actuelle, l’actionnaire n’est sur de rien, son capital peut fondre du fait de facteurs exogènes à l’entreprise ou du fait d’une mauvaise stratégie. Avec des taux avoisinant les 3à 6 %, nous sommes loin des fameux 15 % que certains mettent en avant.
En outre, il ne faut pas oublier que l’actionnaire est aussi un contribuable. Il paie de l’impôt et des cotisations sociales sur les revenus qui lui ont permis d’épargner. Il en paie sur les revenus issus de ses actions et il peut en payer sur le montant du capital à travers l’ISF par exemple. Quand il cède ses titres, il est amené à acquitter l’impôt sur les plus-values quand elles existent…
L’actionnaire n’est pas l’homme comblé que certains tentent de dessiner. Indispensable au fonctionnement de l’économie, il est aujourd’hui malmené. Le capitalisme sans capital n’a jamais été un gage d’efficacité. La spécificité de l’actionnaire, c’est la prise de risque. Peut-être que l’éclatement de la bulle financière de 2007/2008 devrait justement nous amener à réfléchir sur cette notion. La volonté de garantir des rendements sans lien avec la croissance sur moyenne période a sapé les fondements de la sphère financière. Sans réelles bases, le capitalisme a été fragilisé. Quand l’objectif de l’entrepreneur est de réussir des rachats successifs de son entreprise par des fonds plus ou moins spéculatifs en recourant à l’effet de levier, il est certain que l’économie s’est engagée sur une voie hasardeuse. Le maintien de faible taux d’intérêt l’a incité. Le problème, c’est que pour sortir de l’ornière actuelle, les autorités n’ont pas d’autre choix que de brader la valeur de l’argent au risque de créer de nouvelles bulles ou de perdre le contrôle de la masse monétaire.
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