La planète est entrée dans une seconde mutation démographique de grande ampleur. La première qui s’est amorcée au 18ème siècle a été marquée par la chute de la mortalité infantile conduisant à une augmentation exponentielle de la population mondiale. La deuxième qui a débuté à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale dans les pays avancés et qui se généralise depuis plusieurs décennies se caractérise par l’allongement de l’espérance de vie au-delà de 60 ans et par le non renouvellement des générations. Elle débouche sur un vieillissement généralisé de la population mondiale avec à terme, après 2060, une diminution du nombre d’habitants. Nous plafonnerons autour de 10 milliards d’habitants avant de décroître doucement. De nombreux Etats, 18 d’Europe dont l’Allemagne connaissent déjà un déclin démographique. La Chine n’échappera pas à cette mutation. Le dernier continent à basculer dans la nouvelle ère démographique sera l’Afrique d’où son attrait économique pour les investisseurs en particulier chinois.
Or, l’économie contemporaine a construit sa croissance à partir d’une progression de la population et en particulier de la population active. Ce processus arrive donc à son terme. Il en résulte une série de conséquences avec une tendance lourde au ralentissement de la croissance et à la déflation. L’incapacité à compenser les surcoûts du vieillissement par des gains de productivité met sous tension les économies concernées.
Cette mutation démographique a des impacts économiques et sociaux de grande ampleur sous-estimés. Elle s’accompagne de changements d’ordre sociologique qui interfère sur nos modes d’organisation. Notre approche du cycle de vie reste prisonnier des schémas du passé. Ainsi, désormais, quatre générations sont amenées à se côtoyer durant une vie. Avec la multiplication des divorces et des recompositions familiales, la filiation est de moins en moins une ligne droite. Les solidarités familiales passées se délitent du fait de l’étirement des générations mais aussi du fait des recompositions et de la mobilité croissante de la population. Les cycles patrimoniaux sont affectés par ces évolutions.
La retraite n’est plus l’antichambre de la mort, elle ouvre la porte vers une troisième vie, après la période de formation et celle consacrée au travail. Elle est synonyme de liberté retrouvée, de deuxième adolescence. La contrainte professionnelle comme celle liée à l’éducation des enfants a disparu. Pour ceux ayant des moyens financiers suffisants et une santé convenable, la retraite permet de réaliser de nombreux rêves, voyages, activités culturelles… Avant, le retraité gérait avec prudence ses derniers jours en préparant sa succession. Le retraité était un épargnant ; aujourd’hui, il est avant tout un consommateur. Bénéficiant de revenus réguliers et stables, il désire profiter au mieux de la vie. Une étude de l’INSEE publiée au mois de juillet 2013 révèle que les personnes de plus de 65 ans ont réduit leur écart de consommation par rapport à la moyenne nationale. Par unité de consommation, l’écart est ainsi passé de 16 à 3 % de 2005 à 2011. La réduction de cet écart intervient avec l’arrivée à la retraite des premières générations du baby-boom. La gestion des personnes âgées dépendantes sera, dans les prochaines années, un véritable défi à relever car au-delà de la progression des personnes concernées, il faudra prendre en compte leur isolement familial.
Des retraités devenus consommateurs seront, par ricochet, moins épargnants d’autant plus que l’Etat aura tendance à accroître leur pression fiscale afin de faire face à la hausse tendancielle des dépenses sociales. Les retraités qui concentrent une part importante du patrimoine des ménages seront amenés à s’en séparer pour maintenir leur niveau de vie. Ils pourront être contraints de vendre progressivement leurs actifs immobiliers et financiers en particulier pour financer d’éventuelles dépenses liées à la dépendance. Ils pourront également vouloir contre ce risque en recourant à des mécanismes d’assurance ce qui réduira d’autant leur capacité d’épargne.
La question du financement des retraites s’impose donc à un nombre croissant de pays développés ou émergents. Néanmoins, tous les pays ne sont pas placés à égalité en la matière. En effet, il faut prendre en compte l’ensemble de la structure de la population et l’espérance de vie. Ainsi, la France est dans une situation plus qu’inconfortable. Elle détient, au sein de l’Union européenne, le record de l’espérance de vie à 65 ans, plus de 19 ans pour les hommes et près de 24 ans pour les femmes. Du fait d’un départ précoce à la retraite, la France détient le record mondial de l’espérance de vie à la retraite qui dépasse 25 ans. Les retraités qui représentent 20 % de la population pourraient, d’ici 2050, en représenter un tiers. En plus de cette spécificité, nous avons la chance d’avoir conservé un taux de fécondité relativement élevé, autour de 2. Cet atout pour l’avenir est, en revanche, à court et moyen terme, coûteux. A la différence de l’Allemagne ou de l’Italie, nous devons consacrer une part plus importante de notre richesse nationale à la formation des jeunes. L’augmentation de la population, 200 000 par an, crée, en outre, des tensions sur le marché de l’immobilier. La France a le ratio de dépendance (rapport entre inactifs jeunes et retraités par rapport à la population d’âge actif) le plus dégradé de l’Union européenne. Il est de 55 % contre une moyenne communautaire de 50 %. En prenant en compte les 5 millions de personnes sans emploi ou occupant un emploi à temps partiel subi, le taux est supérieur à 60 %.
Le vieillissement, par ses multiples aspects, est une bombe à retardement et à fragmentation. Nous devons gérer deux chocs, celui de l’allongement de la durée de vie et celui de l’arrivée des baby- boomer à l’âge de la retraite. Pour la France, la fin de ce double choc interviendra après 2050 avec un pic qui se situera autour de 2030. A ce moment, là, les gros bataillons du baby-boom, les générations des années 60 seront à la retraite.
Les gouvernements, par peur des réactions de l’opinion et des partenaires sociaux, minimisent sciemment l’importance du problème et optent pour des mesures d’apparence indolore. Depuis 1993, date de la première réforme réelle des retraites, les économies réalisées s’élèvent à près de six points de PIB à l’horizon 2030, soit deux fois le montant de l’impôt sur le revenu. Ce sont les retraités actuels mais surtout ceux de demain qui supporteront les conséquences des différentes réformes. Les pouvoirs publics répètent que le montant des pensions ne baissera pas mais refusent, en revanche, de publier les taux de remplacement des générations qui partiront à la retraite d’ici 2030. Or, ils diminueront par le simple fait de la désindexation par rapport aux salaires et le calcul des pensions en fonction des 25 meilleures années en lieu et place des 10 meilleures. L’argument du maintien du niveau des retraites ne repose que sur un effet d’optique. Les générations partant actuellement à la retraite ont connu des carrières plus progressives que celles de leurs aînés. De plus, arrivent à la retraite des générations de femmes dont le taux d’activité a fortement progressé et dont la vie professionnelle est moins interrompue par la naissance des enfants. De ce fait, automatiquement, leurs pensions sont supérieures à celles de leurs mères tout en restant nettement inférieures à celles des hommes.
Au-delà de ces effets d’optique, à défaut de mettre en œuvre un plan global de gestion du vieillissement, les pouvoirs publics acceptent un appauvrissement implicite des futurs retraités. A ce titre, ils font supporter une nouvelle charge aux jeunes générations sous la forme d’une détérioration de leur pouvoir d’achat quand ils seront à la retraite. En laissant filer les déficits aujourd’hui pour prévoir un retour à l’équilibre des comptes publics en 2020, il y a un pari, celui du retour de la croissance et de la baisse du chômage.
Par absence de consensus, la réforme au fil de l’eau s’est imposée. C’est ainsi que toutes les réformes systémiques qui permettraient de déboucher sur un système de retraite plus facilement pilotable ont été abandonnées. C’est également ainsi que le développement de la capitalisation reste un tabou en France quand tous nos partenaires y ont recours. L’un comme l’autre ne résoudrait pas d’un coup de baguette magique la question du financement des retraites. Néanmoins, ils apporteraient quelques marges de manœuvre qui nous font cruellement défaut aujourd’hui.
La réforme systémique viserait à remplacer notre kyrielle de régimes de base et de régimes complémentaires par un régime unique par points. Nous y gagnerions en transparence, en équité et en coûts de gestion. Tous les actifs seraient traités de la même façon ; il n’y aurait plus de régimes spéciaux, le non-régime de la fonction publique, celui des indépendants ou des salariés… Or, avec la mobilité professionnelle durant notre vie, nous sommes et nous allons de plus en plus être assujettis à plusieurs statuts. De ce fait, une unification des régimes de retraite serait une source de simplification évidente. Cette dernière permettrait de réduire les frais de gestion pour lesquels la France détient le record en Europe. Avec un régime unique, le pilotage serait plus simple avec des ajustements à travers, par exemple, la variation de la valeur d’acquisition ou de rachat des points. Comme en Suède ou en Italie, il serait possible d’intégrer des coefficients notionnels afin de tenir compte de l’évolution de l’espérance de vie. Il serait également imaginable de s’inspirer de l’Allemagne en fixant un plafond de cotisations sociales dévolues au financement des retraites.
La France ne pourra pas indéfiniment rester bloquée sur la question de l’âge. Le report à 65 ans de l’âge légal devrait à terme s’imposer. Il faut savoir que si l’âge de départ effectif à la retraite passait de 61 à 63 ans une grande partie de nos problèmes de financement serait résolue. Il est faux de répéter que les seniors sont tous sans emploi, leur taux de chômage est inférieur à celui de l’ensemble de la population active ; il est également faux de répéter que les seniors en activité empêchent les jeunes d’accéder au marché de l’emploi. Ce sont les pays qui ont les taux d’activité des 55/65 ans les plus élevés qui ont les meilleurs résultats en matière d’emploi des jeunes. La reprise économique passe par un élargissement de notre population active et non par l’inverse. La résolution des déficits publics suppose que nous tournions le dos aux solutions malthusiennes.
A défaut de réforme systémique, à défaut de reporter l’âge légal de départ à la retraite, la France ferait bien de mettre un terme à une autre exception, l’absence des fonds de pension. L’épargne retraite est, en France, quasi inexistant. Le montant des cotisations s’élève à 11 milliards d’euros et le montant des prestations atteint 7 milliards d’euros quand les pensions versées par les régimes par répartition dépassent les 280 milliards d’euros. La part de la capitalisation par rapport à l’ensemble des dépenses de retraite est de 2,3 %. Le danger de la cannibalisation de la répartition par la capitalisation est un mythe que certains entretiennent avec gourmandise. A titre de comparaison, en moyenne, au sein de l’OCDE, les fonds de pension assurent 20 % des revenus des retraités. L’encours c’est-à-dire le stock des droits, de l’épargne retraite ne s’élève qu’à 153 milliards d’euros en 2012 à comparer avec celui de l’assurance-vie qui représente plus de 1 400 milliards d’euros.
Les fonds de pension ne sont pas insensibles aux évolutions démographiques. Ils distribuent des pensions constituées à partir des revenus tirés des portefeuilles. Il s’agit indirectement de la richesse créée par des actifs. Ils ne sont, de ce fait, pas si éloignés des régimes par répartition. Leur avantage est d’élargir le champ de la collecte en dépassant les frontières nationales. Ils ont un autre atout, celui de contribuer à l’allocation de l’épargne sur des placements longs. Ils concourent au renforcement des fonds propres et au financement de l’économie.
Le rejet idéologique des fonds de pension a eu pour conséquence que les grandes entreprises sont possédées à plus de 40 % par des fonds étrangers. Ironie de l’histoire, les salariés français concourent ainsi à la retraite de leurs voisins. Les entreprises françaises doivent se conformer aux exigences de ces fonds et ne peuvent pas bénéficier de l’appui de structures nationales. Il en résulte un surcoût et une perte d’indépendance.
D’ici 2030, il serait souhaitable que la capitalisation puisse assurer non plus 3 % mais 10 % des revenus des retraités. Cela supposerait que le montant des cotisations atteigne 50 ou 60 milliards d’euros. A cet effet, une simplification de la sphère de l’épargne retraite serait bienvenue.
La législation sur l’épargne retraite s’est construite sans plan d’ensemble par voie d’amendements déposés à l’occasion de la discussion de divers projets de loi. Il en résulte un manque criant de cohérence. De nombreux produits cohabitent tant au niveau des entreprises avec les produits collectifs qu’au niveau des particuliers avec les produits individuels.
Le choix de tel ou tel produit dépend tout à la fois de la nature de son activité professionnelle et des incitations fiscales ou sociales qui lui sont allouées. Les travailleurs non-salariés bénéficient du Contrat Madelin, les fonctionnaires de la Prefon quand le PERP est plutôt destiné aux salariés. Ces produits qui poursuivent le même objectif ne sont pas identiques en ce qui concerne les modalités de gestion. Cette différenciation de traitement ne repose sur aucun argument technique ; elle est avant tout le produit de l’histoire.
Au niveau collectif, les augmentations d’impôt et la crise aboutissent à l’attrition des produits classiques d’épargne retraité représentés par les articles 39 et 83 au profit du PERCO qui s’inscrit dans le prolongement de l’épargne salariale et qui est peu contraignant pour les entreprises.
Sur le modèle de nos partenaires, la France aurait tout intérêt de se doter d’un régime professionnel collectif et d’un régime individuel ouvert à tous. La sortie de la rente devrait être la règle. Un produit retraite vise non pas à fournir un capital mais un supplément régulier de revenu après la cessation d’activité. Ceux qui souhaitent une sortie en capital ont la possibilité de recourir à l’assurance-vie. Les avantages fiscaux et sociaux doivent être à l’entrée en contrepartie de la renonciation à consommer et du fait que la préparation de la retraite constitue une démarche citoyenne. A la sortie, les revenus tirés de la capitalisation doivent être assimilés pleinement aux pensions et donc être normalement assujettis à l’impôt sur le revenu.
Pour rencontrer un succès, la capitalisation doit se défaire de certains travers français qui font que l’épargne est placée sans risque avec une sécurisation progressive excessive. Aujourd’hui, plus de 80 % de l’encours des plans d’épargne retraite populaires est investi en fonds euros. Sur des produits dont la durée de vie s’étale sur plusieurs décennies, il est assez logique d’avoir une exposition aux actions relativement importante. Evidemment, certains mettent en avant le risque de krach. Or, il faut prendre conscience que des plans retraite ont vocation d’être alimentés en permanence et que les sommes capitalisées ne sont pas liquidées d’un coup mais progressivement. Ce lissage réduit d’autant les coups d’accordéon. Les fonds de pension américains ont, en 2012, effacé les conséquences de la crise de 2008 / 2009 du fait de l’amélioration des cours des actions. L’Europe devrait, à ce titre, revoir la copie de la directive « Solvency II » qui fixe le prochain cadre prudentiel applicable aux assureurs. En effet, dans sa version actuelle, il conduit les compagnies d’assurances à réduire au maximum leurs placements actions du fait des engagements en fonds propres qu’ils exigent. Un produit retraite doit s’analyser sur le long terme ; de ce fait, les couvertures ne peuvent pas s’apprécier au jour le jour. Il faut souligner que les Anglais avaient réussi à sortir leurs fonds de pension de Solvency II.
Face à ce défi incommensurable de la retraite et du vieillissement, l’Europe est bien discrète. Elle en reste à des livres verts ou blancs établissant des états des lieux et préconisant quelques pistes. Or, la sortie de crise des dettes publiques et de la léthargie européenne suppose certainement la création d’un cadre social commun ce qui ne signifie pas obligatoirement des règles uniques. Ce cadre devrait conduire à des harmonisations sur les modalités de fonctionnement des régimes avec à la clef une plus grande fluidité de la population active. Par ailleurs, il faut s’interroger comment organiser des transferts financiers entre régions pauvres et régions riches de l’Union ou de la Zone euro. Au sein d’un Etat centralisé, les déficits commerciaux interrégionaux ne sont pas mesurés car ils sont compensés par des transferts financiers qui prennent la forme de prestations sociales ou de subventions. Au sein de l’Europe, malgré la monnaie unique, rien n’a été prévu pour compenser les déficits. La seule solution appliquée est de réduire la consommation des déficitaires. Pour contrecarrer ce processus et du fait de la problématique du vieillissement, la question du transfert du financement des retraites et de l’indemnisation du chômage au niveau européen se pose. En contrepartie, l’Europe devrait recevoir une mission d’organisation des systèmes de retraite et des marchés du travail. C’est pour le moment un vœu pieu mais dont la réalisation changerait la donne économique et financière de l’Europe.
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