EUROPESSIMISME ET EUROREALITE
Entre le ressenti et la réalité, le gouffre ne cesse de s’accroître pour l’euro. Les partisans de la monnaie unique, le Président de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet en tête, ont beau s’époumoner ; rien n’y fait, la population a trouvé son bouc-émissaire. Selon un sondage Louis Harris pour le Financial Times publié le 29 janvier dernier, plus des deux tiers des Français, des Italiens et des Espagnols ainsi que plus de la moitié des Allemands jugent que la monnaie unique a eu un impact négatif sur l’économie. Il n’y a que 5 % des Français pour penser l’inverse.
Jean-Claude Trichet, sur la défensive, tente par tous les moyens de prouver que les Européens doivent être fiers de leur enfant. Ainsi, n’a-t-il pas affirmé le 28 janvier 2007 que depuis 1999, date de lancement de l’euro, les pays membres avaient créé plus de 12 millions d’emplois, soit plus que les Etats-Unis sur la même période. Or, sur ce terrain, l’opinion des Européens est à l’opposé. La monnaie unique est jugée responsable de tous les maux : inflation, appauvrissement, chômage, stagnation…
Le dilemme de l’inflation, stop ou encore
La Banque centrale est accusée de ne surveiller que l’inflation et de conduire une politique de désinflation permanente. Or, l’euro serait également coupable de l’envolée des prix. Qui croire ? La question de la hausse des prix est une vieille rengaine qui très régulièrement refait surface. C’est un peu comme le temps et la saleté sur les trottoirs parisiens, ce sujet permet de relancer une discussion qui s’étiole. Tout est toujours trop cher et implicitement, nous pensons que le commerçant, l’industriel s’enrichit sur notre dos. A défaut de juger les acteurs économiques, on s’en prend au thermomètre, c'est-à-dire la monnaie.
Depuis l’introduction de l’euro, l’inflation n’a pourtant pas dépassé 2,5 % en taux annuel. En 1999, le taux a été de 0,6% et a atteint 2,3 % en 2003 soit nettement au-dessous de la moyenne des années quatre-vingt et bien évidemment des années soixante-dix. En 2006, le taux d’inflation de la France n’a été que de 1,3 % malgré l’envolée des prix du pétrole. Par rapport aux pays non membres de l’Union Européenne, il n’y a pas de réelle divergence. Le taux d’inflation dépend essentiellement aux pressions sur l’offre.
Certains commentateurs ont mis en doute la fiabilité des indicateurs. Vieux débats qui régulièrement agitent l’opinion et la classe politique. Ainsi, il y a, tout juste, 50 ans, le journal « le Monde, publiait un article intitulé « l’indice des prix discrédité » comme quoi le débat est éternel.
L’indice INSEE comprend 200 000 prix concernant plus de 1000 produits et services. Ce fameux panier n’est pas figé, il évolue pour prendre en compte l’apparition de nouveaux biens et les changements des habitudes de consommation. La perception des évolutions des prix est asymétrique. Nous retenons l’augmentation du kilo de pommes même si la part de ce fruit dans notre budget est faible. Les diminutions passent, en revanche, inaperçues. Face à la contestation récurrente, l’INSEE a élaboré de nouveaux indices et propose même à chaque Français d’élaborer son propre indice en fonction de ses habitudes de consommation.
Si l’inflation apparaît contenue, le ressenti négatif n’est-il pas imputable à l’évolution du pouvoir d’achat ?
Le pouvoir d’achat, l’euro encore au banc des accusés
L’euro serait responsable de la stagnation des salaires du fait de la politique de forts taux d’intérêt conduite par la Banque centrale. La politique de désinflation compétitive conduite depuis 1984 et poursuivie depuis s’accompagne d’une rigueur salariale. Ainsi, au nom d’un raccourci assez simple, la politique monétaire restrictive est l’ennemi de la feuille de paie. Cette association ne saurait expliquer pourtant la stagnation des salaires en France.
La politique de la Banque Centrale Européenne jouerait contre les intérêts des salariés en obligeant les chefs d’entreprises à réduire en permanence leurs coûts.
L’euro n’est fort que parce que le dollar s’est déprécié et que les investisseurs internationaux rééquilibrent leur portefeuille. L’objectif de la Banque centrale est d’empêcher la résurgence de l’inflation dans l’ensemble de la zone, soit désormais 13 pays. Du fait de pays comme l’Espagne ou l’Irlande enregistrant de forts taux de croissance et des pressions inflationnistes, la BCE demeure vigilante ce qui a pour conséquence de pénaliser les pays à faible taux de croissance. L’emploi n’entre pas dans les objectifs premiers de la BCE.
La bataille des coûts dépasse de loin la zone euro. Les faibles gains de pouvoir d’achat en France sont imputables plus à notre absence de croissance, au positionnement de notre économie, à nos coûts sociaux qu’à l’euro. Un euro faible et une politique monétaire plus accommodante donneraient certes une bouffée d’oxygène de courte durée qui ne changerait pas réellement la donne. En France, le parti de la monnaie faible et de l’inflation sous-jacente a toujours eu des adeptes. Cette politique n’a abouti qu’à retarder l’adaptation de notre outil économique.
Depuis 1999, les taux d’intérêt sont nettement inférieurs à ceux connus avec le franc. Imaginons que nous soyons encore avec notre ancienne monnaie. Avec un déficit commercial de plus de 29 milliards d’euros, avec un déficit budgétaire de 40 milliards d’euros, une dette publique de 1000 milliards d’euros, notre monnaie aurait été vivement attaquée et les taux d’intérêt battraient record sur record. Aujourd’hui, le calme plat ; juste quelques observations de la part de la Banque centrale et de la Commission de Bruxelles.
Les taux de la zone euro restent nettement inférieurs à ceux du Royaume Uni ou des Etats-Unis.
La faiblesse des taux est telle que les ménages s’endettent fortement tant pour financer l’immobilier que des dépenses de consommation. Si l’inflation permet de rogner la valeur des remboursements, son absence relative est une source de sécurité. Les emprunteurs disposent d’un bonne visibilité en ce qui concerne le coût réel de leurs remboursements.
Taux d’intérêt BC
2005 2006
Australie 5.64 5.99
Canada 2.81 4.18
République tchèque 2.01 2.30
Danemark 2.17 3.13
Hongrie 7.00 6.91
Japon 0.03 ..
Nouvelle-Zélande 7.11 7.55
Norvège 2.21 3.10
Pologne 5.20 4.20
Suède 1.72 2.33
Suisse 0.81 1.56
Royaume-Uni 4.70 4.80
Etats-Unis 3.51 5.15
Zone euro 2.19 3.08
Source OCDE
L’euro serait-il responsable de l’appauvrissement des Français ? Non, ll n’en demeure pas moins que depuis dix ans, la France recule en termes de PIB par habitant. Notre pays est passé du 7ème rang au 16ème rang au sein de l’Union européenne. Cette chute s’explique par le faible taux de croissance et par l’augmentation plus rapide de la population française comparée à celle de nos partenaires. Le maintien d’un fort taux de natalité conduit faute de croissance à un appauvrissement relatif des Français.
L’euro, l’ennemi de l’exportateur
L’appréciation de l’euro pénaliserait les exportations françaises et obligerait donc les employeurs pour maintenir leur compétitivité de peser sur les salaires. Le déficit commercial français, en 2006, plus de 29 milliards d’euros prouverait le bien-fondé de ces arguments. Mais, l’Allemagne qui est dans la même situation monétaire et avec des coûts de production identiques voire supérieurs, enregistrent des excédents records, plus de 162 milliards d’euros en 2006.
La France commerce essentiellement au sein de la zone euro, plus de deux tiers de ses échanges. L’appréciation de l’euro diminue le coût des importations et en particulier du pétrole. Elle contribue donc à réduire les tensions inflationnistes et permet d’engager un cercle vertueux en terme de compétitivité mais notre positionnement économique est fragile. La France est trop encrée sur des secteurs soumis à la concurrence des nouveaux pays développés. Sont particulièrement concernés l’industrie automobile et le secteur de l’équipement électrique. En outre, la France paie chère son absence dans certains secteurs de pointe.
L’euro-dépression est-elle une maladie imaginaire ?
De 2002 à 2006, les pays de la zone euro a fait moins bien que les pays de l’OCDE ou les autres pays de l’Union européenne non membres de la zone euro mais cette contre-performance n’est-elle pas avant tout le produit des mauvais résultats de la France, de l’Italie et de l’Allemagne qui compte tenu de leurs poids économique ont tiré la zone euro constitué de 13 pays vers le bas ? L’Espagne a, en revanche malgré l’euro, obtenu des résultats supérieurs à ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni. En 2006, si le taux de croissance de la France n’a été que de 2%, celle de notre voisin allemand a atteint 2,7 % prouvant la nature structurelle et spécifique de la stagnation française.
Taux de croissance
France Zone euro UE 25 Espagne Royaume-Uni Etats-Unis
2002 1 0,9 1,2 2,7 2,1 1,6
2003 1,1 0,8 1,3 3,0 2,7 2,5
2004 2,4 2,0 2,4 3,2 3,3 3,9
2005 1,2 1,4 1,7 3,5 1,9 3,2
2006 2 2,7 2,9 3,8 2,8 3,4
Source : Eurostat ; en % du PIB
Ces résultats en demi-teinte de la France ne sauraient masquer, en revanche, la vitalité des entreprises françaises qui ont enregistré en 2006 un record en matière de bénéfices. Les actionnaires n’ont pas eu à s’en plaindre, les entreprises leur ayant l’année dernière redistribué 40 milliards d’euros soit sous forme de dividendes et 8 milliards d’euros. Les bénéfices des entreprises du CAC 40 ont atteint 74 milliards d’euros en 2006 soit une progression de 60% en six ans. L’année dernière, la bourse de Paris a enregistré sa quatrième année consécutive de hausse. Il n’en demeure pas moins que les entreprises françaises apparaissent sous-capitalisés par rapport à leurs principales homologues étrangères.
Les bons résultats des grandes entreprises françaises dont bénéficie l’ensemble du pays du fait en particulier du paiement de l’impôt sur les sociétés sont, en grande partie, imputables à leurs activités réalisées en dehors de l’hexagone ; elles profitent ainsi du vent de croissance de l’économie mondiale.
L’euro n’est pas un rempart face à la mondialisation ; ce n’est pas la raison d’être de la monnaie d’autant plus que l’Europe ne tire pas la croissance mondiale et est donc dépendante de l’activité des autres zones d’activité. La création de la monnaie unique a débarrassé le débat public de la question de la politique de change et de la défense du franc. La légitimité de la monnaie européenne demeure fragile du fait des mauvais résultats de l’économie de la zone euro comparés à ceux du reste du monde. Il n’y pas un bon taux de change ni une unique et bonne politique monétaire comme le prouvent les Etats-Unis, l’Allemagne ou le Japon. La France qui a une longue expérience des dévaluations appréhende mal le régime des changes flottants en vigueur depuis trente ans ainsi que l’existence d’une monnaie dépolitisée et administrée par une Banque centrale souveraine.
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