Les faces cachées de la réforme institutionnelle
François Hollande a confirmé, mardi 6 mai, sa volonté de
refonder la carte institutionnelle française avec la suppression à terme des conseils
généraux et l’engagement d’un processus de fusion des régions.
En théorie, une telle réforme permettrait de dégager des
économies en réduisant les frais de gestion et le millefeuille administratif
français. Réclamée de longue date, elle n’a jamais pu être menée en raison de
blocages politiques mais aussi sociologiques. L’échec du référendum supprimant
les assemblées départementales en Corse et en Alsace prouve que l’opinion
publique n’adhère à cette simplification qu’à la condition de ne pas être
concernée.
François Hollande est avant tout un tacticien politique qui
a été, durant dix ans, le Premier secrétaire du Parti Socialiste. La science
électorale et l’économie sont ses deux passions. Or, en l’état, les élections
départementales et régionales prévues initialement en 2015 devraient, en l’état
actuel des choses, être des bérézina pour le Parti socialiste. La gauche
contrôle 60 % des départements et 24 des 26 régions françaises.
La défaite à ces deux élections serait un nouveau
tremblement de terre pour le PS dont les structures militantes et de cadres
reposent essentiellement sur les collectivités territoriales. Par ailleurs, le
Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a commis une erreur en modifiant le mode de scrutin
aux cantonales. La création de grands cantons avec des binômes ne peut qu’amplifier
les mouvements de bascules. En effet, l’élection cantonale qui était
essentiellement une élection locale devient une élection urbaine et donc
politique. En outre, en élisant, au scrutin majoritaire, d’un coup deux
conseillers généraux de la même couleur politique, une femme et un homme, il y
a automatiquement une amplification des alternances. Le découpage retenu par le
Ministère de l’Intérieur a favorisé les villes qui étaient traditionnellement à
gauche. Or, de très nombreuses ont basculé à droite lors des dernières
élections municipales. De ce fait, le PS pourrait connaître un désastre
électoral sans précédent si le mode de scrutin et le calendrier restaient en
état.
Pour les élections régionales, le mode de scrutin à la
proportionnelle atténue les vagues au niveau du nombre d’élus mais n’empêche
pas les tsunamis du fait de l’existence de la prime majoritaire. En effet,
jusqu’en 1998, la droite a contrôlé la quasi-totalité des régions quand en 2009
elle n’en possédait plus qu’une, l’Alsace.
En vertu du mode de scrutin en vigueur, au premier tour, la
liste qui recueille la majorité absolue des suffrages exprimés reçoit un quart des
sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis selon la règle de la plus
forte moyenne entre toutes les listes ayant obtenu plus de 5% des suffrages
exprimés.
Si aucune liste n’obtient la majorité absolue, il est
procédé à un second tour. Seules sont autorisées à se présenter les listes
ayant obtenu plus de 10% des suffrages exprimés au premier tour. Par ailleurs,
entre les deux tours, les listes peuvent être modifiées, notamment pour
fusionner avec des listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés. La
répartition des sièges se fait selon les mêmes règles que pour le premier tour,
à ceci près que la majorité absolue n’est plus requise.
Avec l’application des résultats des municipales, la
majorité de gauche pourrait perdre la totalité ou la quasi-totalité de ses
régions. Le PS pourrait être devancé par le Front National dans certaines
régions.
Que ce soit au niveau cantonal ou régional, il est urgent de
gagner du temps pour François Hollande.
La question est de savoir s’il peut constitutionnellement
différer d’un an les élections.
Dans le passé, des élections locales ont été déplacées pour
des motifs de pratiques institutionnelles. Il s’agissait d’éviter la collision ou
les interférences entre deux élections. Ainsi, en 1995, les élections
municipales qui devaient intervenir au mois de mars avant l’élection
présidentielle prévue au mois d’avril ont été reportées au mois de juin de la
même année. Ce report réglait également un problème technique en matière de
parrainage des candidats à la présidentielle. Si l’élection avait eu lieu à la
date prévue, deux maires successifs d’une même commune auraient pu parrainer
des candidats à la Présidence de la République. Les élections municipales de
2007 ont été, pour les mêmes raisons, été reportées d’un an. Il faut également
signaler que le mandat de certains sénateurs a été allongé quand il a été
décidé que de renouveler par moitié et non par tiers le Sénat et de fixer la
durée du mandat à 6 ans au lieu de 9 ans.
Le Conseil constitutionnel a admis ces modifications car
elles répondaient à un objectif d’intérêt général. Le souhait de François Hollande
de différer les élections locales de 2015 à 2016 répond-il à un tel objectif ?
S’il en reste à la pétition de principe, certainement pas ! Le Conseil
constitutionnel ne pourra admettre un tel report que si un projet de loi de
refonte des collectivités territoriales est déposé et adopté. A défaut de
texte, il ne pourra sans doute pas juger qu’il est inopportun techniquement de
procéder à des élections. Elire des conseillers généraux amenés à être
supprimés ou élire des conseillers régionaux dans des régions qui seront
redessinées, peuvent être des motifs suffisants pour différer les élections
mais le Conseil constitutionnel prend ses décisions à partir de données
juridiques intangibles.
Le Gouvernement doit donc adopter en même temps la réforme
et le report des élections. Or, une course contre la montre commence. Il est d’usage
que les lois modifiant les modes de scrutin ou les modalités d’organisation des
élections interviennent un an avant les dites élections. En vertu de cette
tradition, le Gouvernement est déjà hors délai étant donné que les élections
locales sont programmées au mois de mars 2015. Il pourrait tordre la tradition
sans enfreindre l’esprit républicain s’il réussissait à traiter l’affaire d’ici
la fin de l’été. Or, cela suppose qu’il arrive à traiter l’affaire des
départements avec leur éventuelle suppression, le redécoupage des régions et l’élaboration
d’un nouveau mode de scrutin. Le pari paraît plus qu’hasardeux.
D’autres écueils jalonnent la route du Gouvernement sur ce
sujet. Le premier est d’ordre constitutionnel. La suppression des départements
suppose par définition une révision de la constitution. En effet, en vertu de l’article
72 de la Constitution, « les collectivités territoriales de la République
sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut
particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute
autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et
place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa. Les
collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour
l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur
échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités
s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir
réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ».
La révision constitutionnelle serait très difficile à
obtenir car elle suppose l’accord du Sénat qui, en matière d’organisation
territoriale, est peu porté au changement. De plus, au mois de septembre 2014,
le Gouvernement ne devrait plus disposer de la majorité au sein de la Haute
Assemblée.
Pour éviter le passage par la case de la révision
constitutionnelle, le Gouvernement pourrait être tenté de rattacher le
département aux régions et de prévoir un collège d’élus en charge de son
administration.
L’enlisement de ce projet est fort probable. Certes, le
Président de la République pourrait tenter un coup de force en recourant à un
référendum en ayant recours à l’article 11 de la Constitution sur le modèle de
la pratique gaullienne. En vertu de cet article, « le Président de la
République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou
sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel,
peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des
pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale
ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou
tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la
Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
Un tel recours compte tenu des positions tranchées qu’avait la gauche autant du
Général de Gaulle sur ce sujet n’est pas évident. Ce référendum pourrait, en
outre, donné lieu à un vote sanction contre le Président.
Les voies de la réforme, à défaut de consensus, sont donc
étroites et incertaines surtout que le calendrier ne s’y prête pas. Néanmoins,
derrière ce dossier s’en cache un autre tout aussi voire plus important, celui
du mode de scrutin aux élections législatives.
En reprenant les dernières tendances électorales, il est
certain qu’en cas de défaite, en 2017, du candidat socialiste, la curée serait
au rendez-vous pour les candidats de gauche. Pour sauver les meubles, l’introduction
de la proportionnelle est une condition sine qua non. Elle correspond, par
ailleurs, à une promesse du candidat François Hollande en 2012.
La proportionnelle est certainement incontournable pour
tenter d’être au second tour de la Présidentielle. En 2017, le risque pour
François Hollande ou le candidat du PS est de terminer troisième derrière les
candidats de l’UMP et du FN. Ce risque sera d’autant plus grand que des
candidats issus d’Europe Ecologie, des Radicaux ou du Parti Communiste seront
présents au premier tour. Il faudra donc acheter leur renoncement à se
présenter. La seule solution est de leur garantir quoi qu’il arrive un nombre
de sièges à l’Assemblée nationale. Pour cela, il n’y a que la proportionnelle. En
cas de défaite à la présidentielle, les accords électoraux garantissant un
nombre de circonscriptions aux petits partis pourraient être remis en cause. En
outre, en cas de vague de droite, peu de circonscriptions seront sûres.
Les questions sont donc les suivantes : quelle dose de
proportionnelle faut-il introduire et quelle circonscription choisir ?
Plus la dose de proportionnelle est élevée, plus le parti de
gouvernement en situation de fragilité peut sauver un nombre important de
postes. En retenant une dose à 10 %, c’est-à-dire 58 sièges, le PS pourrait en
obtenir 11, les verts et les communistes quelques-uns. Les petits partis n’auraient
donc pas la garantie d’obtenir un groupe parlementaire. Le Conseil
constitutionnel pourrait être amené à se pencher sur la désignation selon deux
modes de scrutin différents des représentants de la nation même si au Sénat, c’est
déjà le cas. Pour la Haute Assemblée, il faut souligner qu’il s’agit d’une
élection par scrutin au suffrage universel indirect. Dans ces conditions, François
Hollande pourrait être donc tenté par un mode de scrutin à la proportionnelle
intégrale.
Pour les élections législatives de 1986, François Mitterrand
avait opté pour la proportionnelle à la plus forte moyenne au niveau
départemental. Ce choix n’avait pas permis à la gauche de conserver le pouvoir
mais avait rendu la majorité RPR – UDF tenait à un fil. Le PS était resté le
premier parti avec 212 élus. Le FN comme le Parti Communiste avaient 35
représentants. Au niveau départemental, compte tenu du faible nombre de
candidats à élire, surtout pour les départements ruraux, ce système favorise
les deux premières listes et incitent à la alliance pour la constitution des listes.
Un tel mode de scrutin conduirait dans un grand nombre de départements à des accords
entre écologistes et socialistes et entre UMP et UDI. Le choix du département
ne sera sans nul doute pas retenu car François Hollande veut les supprimer. Il pourrait
choisir la circonscription régionale actuelle ou élargie. Un tel choix
favoriserait sans nul doute le FN et affaiblirait l’UMP. L’incitation aux
accords préalables serait moindre. Pour corser la donne, le pouvoir pourrait
comme pour les élections régionales actuelles recourir à une proportionnelle à
deux tours permettant d’organiser des alliances entre les deux tours. Une telle
solution pourrait être envisagée à l’échelle nationale avec l’introduction d’une
prime majoritaire. Evidemment, que ce soit au niveau régional ou national, les
partis auraient complètement la main. Une telle réforme doit être également
reliée à l’interdiction du cumul des mandats. Si le mode de scrutin aux
élections législatives n’est pas modifié, le député est en situation de
vulnérabilité par rapport au maire de la grande ville de sa circonscription. A
compter de 2017, date d’application du non cumul, le député ne pourra plus s’appuyer
sur un exécutif local. Il devra donc sillonner en permanence sa
circonscription. Si par malheur, un maire important de sa circonscription
souhaite se présenter contre lui au renouvellement suivant, il a de forte
chance d’être battu. Pour éviter ce problème, la proportionnelle est fort
utile. Elle protégera les députés en place qui seront en place.
Le Ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, le Premier Ministre,
Manuel Valls et le Président de la République, François Hollande, ont moins de
deux ans pour choisir le bon mode de scrutin pour les législatives. Le recours
à une proportionnelle intégrale rendrait l’Assemblée nationale ingouvernable et
supposerait des coalitions d’un autre genre associant une partie de l’UMP au
Parti socialiste ou inversement. Il amènerait à une recomposition du paysage
politique et une évolution substantielle des institutions.
1 commentaire:
Je suis sûre que l'article est très intéressant, mais j'ai arrêté la lecture très vite, mal aux yeux... Blanc sur noir, c'et insupportable ! Dommage...
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