jeudi 9 août 2007

réussir le rendez-vous de 2008

A la fin du quinquennat, en 2012, le nombre de personnes de plus de soixante ans sera supérieur à celui des moins de vingt ans. Cet évènement sans précédent dans l’histoire démographique française est la marque d’une véritable révolution, l’allongement de la durée de la vie. Trop souvent, le débat public se limite à la question du papy-boom, miroir du baby boom, ou à la question du financement des retraites à venir ; or l’allongement de la vie a des conséquences sur l’ensemble de la société. Dans les prochains mois, les pouvoirs publics devront effectuer des choix pour rééquilibrer les comptes des régimes vieillesse, mais aussi pour améliorer les conditions de vie des retraités et faciliter la cohabitation d’un grand nombre de générations.

A la question des régimes spéciaux et à celle du rééquilibrage des régimes par répartition s’ajoutent celles liées à la dépendance et à l’emploi des seniors. Il y a aussi la question lancinante de l’irrigation de notre économie en capitaux.



Philippe Crevel






La révolution démographique au cœur du quinquennat

Sous Louis XV, l’espérance de vie ne dépassait pas 35 ans ; la moitié des enfants mourraient durant les premières années de leur vie. Aujourd’hui, l’espérance de vie atteint 77 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes. Chaque année, nous gagnons un trimestre sur la mort. De ce fait, plus de la moitié des jeunes filles qui naissent cette année vivront jusqu’en 2107.

Jusque dans les années soixante-dix, la vie humaine se distribuait en trois périodes de durée inégale, la période de la formation, d’une vingtaine d’années au maximum, qui s’achevait pour les hommes par le service militaire ou par le mariage - la période dévolue au travail qui s’étirait sur quarante ans - puis enfin la retraite, réduite à une petite dizaine d’années. Ce schéma appartient, depuis vingt ans, au passé. Le temps de la formation s’allonge pour tous les jeunes quelle que soit leur origine sociale ; la crise économique les ayant incités à retarder leur entrée dans le monde professionnel. Pour mémoire, en 1936, plus de la moitié des jeunes hommes de 13 ans travaillaient. L’instauration de la retraite à 60 ans et le développement des préretraites à 55 ans, voire avant, ont conduit à raccourcir également la vie active. En 50 ans, elle s’est réduite de 8 ans. La durée de la retraite, sous le double effet de l’allongement de la durée de la vie et de la cessation précoce de l’activité professionnelle, a doublé. De ce fait, si en 1950, la durée de la retraite était, en moyenne, de dix ans, une personne de 37 ans, en 2007, a toutes les chances de connaître une retraite de plus de 23 ans.

Trop souvent, notre regard sur l’avenir des retraites reste fixé sur la ligne bleue du taux de fécondité ; or les incidences de l’évolution de ce dernier qui restent minimes en France sont marginales face au défi du vieillissement de la population. En effet, malgré un taux de fécondité proche du taux de renouvellement des générations, la part des personnes de plus de soixante ans au sein de la population augmentera rapidement pendant les quarante prochaines années. Même la survenue d’un nouveau baby boom ne changerait que faiblement la donne. Seule l’arrivée massive de jeunes actifs issus de l’immigration pourrait modifier la pyramide des âges qui ressemble de plus en plus à une grosse bonbonne.

La situation française diffère de celle qui prévaut en Allemagne ou en Italie, pays qui enregistrent des taux de fécondité de moins d’1,5 pour mille. La population française continuera de croître jusqu’en 2050 ; elle devrait alors atteindre selon l’INSEE, 70 millions d’habitants.

Le problème ne concerne pas que les pays occidentaux. Ainsi, "La Chine va devenir vieille avant d’être riche, au contraire des pays industrialisés » indique un spécialiste de la question, Stuart Leckie, président d’une société de gestion de fonds de Hong-Kong, Stirling Finance. Les plus de 60 ans représentaient 13% de la population en 2005, selon des estimations officielles, soit près de 170 millions de personnes. L’allongement rapide de l’espérance de vie (de 49 ans en 1949 à 71,4 en 2005) couplé à la politique de l’enfant unique et un taux de fertilité tombé à moins de 1,7 expliquent cette situation explosive.

Pour un redécoupage de la vie

Le problème du financement de la retraite n’est donc qu’un des aspects de la mutation que nous allons connaître dans les quarante prochaines années. Une nouvelle gestion des âges s’impose de gré ou de force à nous. La France n’est pas tout à fait consciente de l’ampleur de cette mutation.

Pouvons-nous conserver la frontière des 60 ans quand nos partenaires la reculent au-delà de 65 ans ? Que signifie cette frontière quand elle correspond au deux tiers de la vie humaine ? Pouvons-nous nous satisfaire tant sur un plan individuel que collectif de réduire la vie active à une trentaine d’années soit moins de la moitié de l’espérance de vie moyenne des Français, d’autant plus que les dépenses de santé, les dépenses liées à la dépendance et les dépenses de formation augmenteront ? Il y a des choix de société à opérer, choix qui ne sont pas sans incidence sur notre future croissance. La nouvelle gestion des âges de la vie devrait sans nul doute autoriser un panachage des périodes de formation, de travail ou consacrées à la réalisation de projets personnels. Une vie étirée sur quatre-vingt ans ne peut pas se dérouler comme une vie de cinquante ou de soixante ans.

Vers des familles à quatre générations mais à géométrie variable !

La société a été longtemps un assemblage de trois grandes générations, les petits-enfants, les parents et les grands-parents. Les deux guerres mondiales et les accidents de la vie (automobile, accidents du travail) avaient même au cours du vingtième siècle pour conséquence de restreindre les parentèles à deux niveaux. Au vingt-et-unième siècle, sauf catastrophe, quatre générations seront amenées à cohabiter. Une telle évolution n’est pas sans incidence sur l’organisation des solidarités. La canicule du mois d’août 2003 a démontré tristement que de nombreuses personnes de plus de quatre-vingt ans vivaient coupées du monde. La solitude a été la principale cause de mortalité durant cet été. Dans une société de plus en plus mobile dans laquelle plus d’un mariage sur trois se termine par un divorce, il y a de nouveaux liens sociaux à développer. Entre un adolescent de treize ans et son arrière grand-mère de plus de quatre-vingt-cinq ans dont les enfants et petits enfants auront peut-être divorcé, les relations ne sont pas naturelles. Les familles décomposées et recomposées n’obéissent plus aux vielles solidarités liées à la transmission du capital. Désormais, les enfants héritent à l’âge de la retraite et non plus au cœur de l’âge actif. L’héritage est donc déconnecté de la vie professionnelle ; il devient un élément constitutif de la retraite. Faciliter la donation devient un élément fondamental de la mobilité du capital. La France aurait également tout à gagner à mettre en place une législation favorable au trustee permettant le transfert d’un patrimoine à un tiers, en franchise fiscale, le temps de régler les problèmes familiaux ou lorsque les héritiers ne peuvent ou ne veulent pas assurer sa pérennité et son développement.

Améliorer les petites pensions !

Le nouveau Président s’est engagé à revaloriser les petites pensions comme d’ailleurs l’ensemble des autres candidats. Nul ne pourrait leur reprocher cette promesse qui reçoit l’approbation de 94 % des Français selon le sondage réalisé par l’institut CSA à la demande du Cercle des Épargnants au mois de février 2007. Il faut, en outre souligner que contrairement à certaines idées reçues le montant des pensions reste en France inférieur aux montants des salaires. Ainsi, la pension moyenne d’un homme s’élève à 1455 euros et à 822 euros pour une femme. A ce titre, il faut noter que le prix moyen d’hébergement en maison de retraite avoisine 1500 euros.

Néanmoins, de réels progrès ont été accomplis depuis quarante ans. Ainsi, si en 1970, 27 % des retraités vivaient en dessous du seuil de pauvreté, ils ne sont en 2006 que 4 % selon les statistiques de l’INSEE. Le nombre de personnes bénéficiant du minimum vieillesse est passé de 2,5 millions en 1959 à 600 000 en 2005. Le taux de remplacement pour les salaires modestes est, en France, un des meilleurs de l’OCDE.

Il y a urgence !

Dans les prochaines années, le besoin de financement des seules retraites s’accroîtra irrémédiablement. Aujourd’hui, il représente de 12 à 13 % du PIB ; il devrait d’ici 2050 atteindre 18 % du PIB. Ce calcul ne prend pas en compte la progression des dépenses de santé dont 50 % sont imputables aux personnes de plus de 60 ans. Il faudra trouver pour les seuls régimes spéciaux environ 120 milliards d’euros.

S’ils sont favorables à des mesures de solidarité et à un relatif statu quo, les Français sont de plus en plus inquiets pour l’avenir de leurs pensions (64 % en 2007 contre 61 % en 2006). Ce sont les jeunes actifs et les salariés modestes qui sont les plus angoissés. Pour régler le problème des retraites, les actifs s’en remettent à l’État et à la Sécurité sociale pour 56 % d’entre eux tout en acceptant l’idée d’un système mixte, répartition/capitalisation.

Demain n’attend pas !

Depuis deux ans, la Caisse nationale d’assurance vieillesse ainsi que les deux grands régimes complémentaires que sont l’AGIRC et l’ARRCO enregistrent des déficits. Cette dégradation des comptes est imputable à la cessation d’activité de nombreux salariés de moins de 60 ans ayant cotisé durant 40 ans. Cette disposition de solidarité s’avère pernicieuse car elle conforte l’idée que le départ précoce en retraite est un acquis. Elle ne contribue pas à la remontée du taux d’emploi des 55/65 ans qui est en France un des plus faibles de l’OCDE ; le taux est de 36 % contre au moins 50 % chez nos principaux partenaires. Sur ce sujet, il y a un véritable travail de pédagogie à mener afin que les employeurs et les salariés changent d’attitude. En effet, près de 60 % des Français sont opposés au recul de l’âge légal de départ en retraite à 65 ans quand le Bundestag allemand a adopté un projet de loi le portant à 67 ans.

Le problème n’est pas qu’économique. Le salarié âgé est réputé coûter cher et moins rentable, ce qui reste à démontrer. Le problème est avant tout sociologique. Durant des années, les gouvernements ont tenté de régler le problème du chômage en multipliant les préretraites et en donnant la priorité à l’emploi des jeunes. Cette politique qui a été inefficace en matière de lutte contre le chômage a contribué à discréditer le travail des seniors. L’échec de la taxe Delalande qui visait à pénaliser les entreprises licenciant les salariés de plus de 55 ans a démontré que l’activisme en la matière n’est pas toujours récompensé. Un effort doit être entrepris pour diminuer le coût du travail et pour favoriser l’essaimage à travers le développement des métiers de consultants. Il faut surtout favoriser la retraite à la carte avec des départs progressifs.

« La réforme, toujours…. »

Avec la loi Fillon, la moitié du chemin a été effectuée. L’objectif de l’ancien Ministre des Affaires sociales, devenu Premier Ministre, n’était pas de régler d’un coup de baguette l’ensemble du problème des retraites mais de lancer un processus permettant d’ajuster au fur et à mesure les recettes aux dépenses. Le rendez-vous de 2008 s’inscrit dans ce cadre. Seuls pour le moment les régimes spéciaux échappent au processus d’harmonisation engagé en 2003. La solution qui a été privilégiée par les Gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin a été de transférer la charge des régimes spéciaux au régime général avec le cas échéant le paiement d’une soulte à l’État de la part de l’entreprise concernée. In fine, le contribuable sera amené à financer les régimes spéciaux qui en plus des conditions exorbitantes du droit commun qu’ils offrent à leurs bénéficiaires connaissent de forts déséquilibres démographiques.

Pour en finir avec les régimes spéciaux, créons un régime exceptionnel

Il est à noter que 71 % des Français sont favorables à une suppression des régimes spéciaux et cela quelles que soient leurs sympathies politiques. Néanmoins, les capacités de blocage des professions concernées constituent un frein à l’engagement de réformes en la matière.

L’instauration d’un système à deux vitesses entre le maintien des droits pour les anciens salariés et l’harmonisation pour les nouveaux entrants constitue une solution mais dont les effets ne seront que très progressifs.

L’autre solution serait d’inciter les salariés bénéficiant d’un régime spécial de rentrer dans le régime de droit commun. Un dispositif d’option pourrait être institué ; les salariés acceptant l’harmonisation, pourraient bénéficier d’un supplément de retraite par capitalisation avec un abondement majoré de la part de l’employeur.

Des habits neufs pour l’épargne retraite ?

Si l’instauration d’un système mixte est admise, les mots « fonds de pension » sont toujours bannis du langage politique. La loi Fillon, en 2003, avait, à ce titre, pris le soin de contourner le problème en créant deux produits dénommés Plan d’Épargne Retraite Populaire et Plan Épargne Retraite Collective, le premier appartenant à la famille des produits d’assurance individuelle et le second obéissant aux règles de l’épargne salariale. Pour éviter la création de véritables fonds dotés de la personnalité morale, le Gouvernement a choisi de recourir, en ce qui concerne le produit individuel, à des structures associatives, les Groupements d’Épargne Retraite Populaire. Ces associations assurent des fonctions de contrôle et de surveillance. La création des GERP est une source de complexité et de surcoûts ; rares sont ceux qui remplissent comme le Cercle des Épargnants leurs missions.

La montée en puissance du PERCO est progressive et conforme aux prévisions, celle du PERP est en demi-teinte. S’il a été souscrit par plus de deux millions de Français depuis sa création, l’encours reste modeste et surtout le nombre des nouveaux titulaires se réduit d’une année sur l’autre. Ces résultats, en phase avec ceux enregistrés lors de la création des contrats Madelin il y a une dizaine d’années, sont néanmoins décevants au regard des espoirs que ce produit avait généré lors de son lancement. Du fait d’une moindre communication des banques et des assurances, la notoriété du PERP a baissé selon le sondage Cercle des Épargnants/CSA de 42 à 34 % de 2006 à 2007. De même, l’intention de souscrire un PERP s’élevait au mois de février 2007 à 9 % contre 13 % un an plus tôt. Il souffre d’un désamour, en grande partie injuste, lié à un excès de contraintes.

A la question quel est le point fort du PERP, la réponse « la sortie en rente » arrive en tête. A la question, quelle caractéristique du PERP devrait être, en priorité, réformée, la réponse est « la sortie en rente ». Les Français seraient-ils schizophrènes ou normands ? Si les Français admettent le principe de la rente pour un produit retraite, ils veulent aussi avoir la possibilité de sortir en capital. Certes, le législateur autorise désormais pour le PERP une sortie en capital au moment de la cessation d’activité pour ceux qui souhaitent acquérir leur résidence principale, mais cette ouverture est encore trop modeste.

Comme pour le PERCO, il faudrait instituer une réelle option de sortie en capital. Il conviendrait également de pouvoir associer le PERP à la dépendance. Ainsi, les titulaires de ce produit pourraient déduire de leurs impôts, une partie de leurs cotisations à un produit d’assurance dépendance. En effet, l’autre grand enjeu du vieillissement de la population est la gestion de l’épineux dossier de la dépendance.

Le désintérêt des Français vis-à-vis du PERP s’explique également par leur souhait de bénéficier d’un produit d’épargne retraite mis en œuvre par leur entreprise. Ce désir pose le problème de la généralisation du PERCO dans les PME. La loi sur le développement de la participation et de l’épargne salariale de 2006 encourage la diffusion de ce produit au sein des petites structures. Il n’en demeure pas moins que la complexité de gestion d’un PEE ou d’un PERCO et les coûts qu’ils génèrent rendent sa diffusion difficile au sein des petites structures.

Le rendez-vous de 2008 conditionnera le paysage de l’épargne retraite de la prochaine décennie. Des fondations ont été posées avec la loi Fillon, il convient désormais de bâtir un système réellement populaire capable d’attirer les salariés et d’offrir de véritables compléments de revenus.

Août 2007 : le capital est mort, vive le capital

Le travail a été la vedette des dernières campagnes électorales. De « travailler plus pour gagner plus » à la TVA sociale en passant par la remise en cause des golden parachutes, il a été au cœur des débats. La baisse du chômage et le vieillissement de la population semblent redonner du lustre à une valeur qui était, depuis des années, en perte de vitesse. La thèse de Jeremy Rifkin, « la fin du travail » apparaît de plus en plus datée. Sommes-nous à la veille d’un retournement ou du moins d’un rééquilibrage ?
Philippe Crevel


Après « les Trente Glorieuses » des salariés, « les Trente Glorieuses » des épargnants

Si « les Trente Glorieuses » ont été à l’avantage des salariés, depuis un quart de siècle, le capital a gagné la manche suivante. Plusieurs indicateurs en témoignent : le partage de la valeur ajoutée des entreprises, l’augmentation des cours de bourse, le montant des bénéfices des entreprises…

Dans une économie mondialisée, le capital est, avec la maîtrise des techniques modernes d’information et de communication, la clef de voûte du succès. Il en avait été de même à la fin du XIXème siècle lors du premier processus d’internationalisation de l’économie qui s’était achevé avec la Première Guerre mondiale.

L’abondance du facteur travail, tant en Occident que dans les pays en voie de développement, a joué en sa défaveur de 1970 à nos jours. Juste après la Seconde Guerre Mondiale, dans une économie en pleine reconstruction avec des générations de taille modeste et amputées par les conflits, la situation était toute différente, il manquait de salariés au point que les gouvernements étaient obligés de favoriser l’immigration. Le retournement de tendance dans les années soixante-dix s’explique tout à la fois par l’épuisement du modèle économique développé après 1945, modèle qui reposait sur la production et la consommation de masse au sein d’un nombre réduit de pays. Il s’explique aussi par l’arrivée des classes d’âge nombreuses du baby-boom sur le marché du travail et par la mobilité accrue du facteur travail. La croissance de la population active constatée depuis trente ans, à l’échelle mondiale n’a pas de précédent dans l’histoire contemporaine,

Si durant « les Trente Glorieuses », les actionnaires et les épargnants étaient les parents pauvres de la croissance, depuis un quart de siècle, ils sont les rois. L’indice du CAC 40 a été multiplié par six depuis 1987. Selon la dernière étude de l’économiste Camille Landais, sur la période 1998-2005, les salaires ont crû en moyenne de 0,7 % par an, les revenus fonciers de 2,2 %, et les revenus de capitaux mobiliers de 3,9 %. Les prix de l’immobilier ont doublé en dix ans. Mais ne sommes-nous pas à l’apogée de ce processus, voire en fin de cycle ?

Cette évolution a eu pour conséquence une montée relative des inégalités ou si l’on préfère un rééquilibrage par rapport à la période précédente. Le patrimoine, sous forme d'immobilier ou d'actions, est, en effet, plus souvent détenu par les ménages aisés : la part des revenus du capital atteint 23 % parmi le 1 % de foyers fiscaux les plus riches, contre 3 % en moyenne dans les 90 % de foyers les moins riches.

Si la victoire du capital est totale, des fissures apparaissent

La chute du communisme en Europe ainsi que le développement de la Chine et de l’Inde marque le triomphe du capitalisme. L’islam est, aujourd’hui, la seule grande force d’opposition. Il n’en demeure pas moins que le consensus n’est pas exempt de critiques. Ainsi, les opposants traditionnels au capitalisme se rassemblent désormais sous la bannière du développement durable et de l’altermondialisme. Il n’est pas surprenant que les trotskistes ou les anciens communistes se retrouvent dans les mouvements écologistes et continuent de prôner la décroissance et une refonte complète du système économique.

La remise en cause des stocks-options, des golden parachutes, des superprofits traduit-elle la recherche d’un nouvel équilibre ? Par ailleurs, l’évolution de la démographie, les contraintes environnementales, la multiplication des déséquilibres financiers traduisent-ils l’épuisement du paradigme en vigueur ? L’ère du patrimoine-roi serait-t-il en train de se terminer ?

Vers un rééquilibrage ?

D’ici 2050, l’humanité aura atteint son apogée en ce qui concerne le nombre d’humains vivant en même temps sur la planète. Toutes choses étant égales par ailleurs, la Terre devrait alors compter de 9 à 10 milliards d’habitants. Les prochaines décennies seront marquées par la décélération de la natalité et par la croissance forte des seniors et cela sur tous les continents. D’ici 2050, la planète comptera 25 % de retraités, soit plus de 2 milliards de seniors dont 62 % vivront en Asie. L’âge médian des habitants s’établira à 38,1 ans contre 28 ans en 2005. L’âge médian en Europe atteindra 47 ans contre 39 ans en 2005. Le taux de dépendance doublera d’ici 2050. Cette évolution prévisible qui ne s’inversera pas à moyen terme, même si le taux de fécondité remontait fortement, aura de nombreuses conséquences sur le capital et son accumulation. Tous les pays sont concernés par cette révolution démographique. La Chine est la nouvelle grande puissance économique, mais une économie peuplée de seniors.

Selon la thèse défendue notamment par l’économiste Patrick Arthus, la valeur des actifs à l’échelle planétaire aura tendance à se déprécier, du fait que les fonds de pension devront désinvestir pour financer les rentes à verser aux papys-boomers. Par ailleurs, la part allouée aux dépenses de santé, de retraite et de dépendance devra s’accroître au détriment de l’investissement. Un « monde de vieux » est un monde en quête de tranquillité et qui fuit, par tous les moyens, le risque ; or, sans risque, pas de capitalisme, sans prise de risque, pas d’opportunité de gains. Le risque est également au cœur de la thématique du développement durable. Les activités humaines, le climat et la terre sont des sources de risques qu’il convient d’endiguer. Le développement durable est, à ce titre, en phase avec une vision vieillissante de la société. Pour d’autres économistes, les pays neufs placent une grande partie de leurs excédents dans les pays développés et notamment aux Etats-Unis qui bénéficient de la sécurité et d’un fort potentiel de croissance. Le krach de 1997 des places asiatiques a incité ces pays à dégager des excédents commerciaux et à sécuriser leurs placements tout en s’appuyant sur des monnaies faibles. Au fur et à mesure de son développement et afin de le financer, l’Asie, à travers ses entreprises, pourrait rapatrier une partie des capitaux investis à l’étranger, d’autant plus si la croissance des pays industrialisés s’étiole. Néanmoins, dans le cadre d’une politique optimale d’allocation des actifs, le retrait massif des capitaux investis aux Etats-Unis ou en Europe est improbable ; en outre les vieux pays industrialisés constitueront pour plusieurs décennies des marchés attractifs. La Chine n’accélère-t-elle pas sa politique d’acquisition d’actifs en Europe comme aux Etats-Unis ? Elle dispose de plus de 1200 milliards de dollars de réserve.

En matière immobilière, le départ à la retraite des baby-boomers devrait entraîner une chute des prix. En effet, pour certains, les nouveaux retraités cèderaient leur appartement urbain au profit de résidence au bord de la mer ou au profit de logement moins grand. Au nom de cette théorie, les prix baisseraient en centre ville pour les logements de grande taille alors que les zones rurales à la mode connaîtraient une envolée des prix. L’impact du papy-boom est difficile à évaluer surtout pour une ville comme Paris où les biens immobiliers disponibles sont rares et subissent une internationalisation du marché, même si elle reste modeste et limitée à quelques quartiers (bureaux dans le triangle d’or et logements dans le VIème, VIIIème et une partie du XVIème arrondissement). Cette thèse peut être contredite par l’auto-alimentation de la croissance. La croissance se nourrit du développement. La création de richesses est plus forte au sein d’un espace concurrentiel et équilibré qu’au sein d’un espace composé de pays ayant des niveaux de développement très éloignés. De ce fait, le décollage économique des pays d’Asie et d’Amérique, puis peut-être demain de l’Afrique, multipliera les possibilités d’investissement. Les fonds de pension tout comme les systèmes par répartition pourront augmenter leurs dépenses, non pas à travers un processus de destruction du capital ou de redistribution d’un volant stable de revenus, mais grâce aux fruits de la croissance. Le vieillissement de la population, tout comme la contrainte écologique, seront des sources de croissance en obligeant le système économique à évoluer.

Autres temps, autres moeurs…

Le cycle de faible appréciation du capital durant les « Trente Glorieuses » est atypique. Le système reposait sur la domination des Etats-Unis qui contrôlait la monnaie et les politiques de change. La convertibilité des monnaies européennes n’a été réalisée que progressivement. Par ailleurs, le libre échange ne concernait et encore imparfaitement que les Etats-Unis, le Canada, l’Europe occidentale, l’Australie et le Japon. La chute de l’Empire soviétique et le développement accéléré de la Chine, de l’Inde et de nombreux autres pays qui autrefois appartenaient au Tiers Monde a modifié la donne. Sous l’égide du GATT puis de l’OMC, la libre circulation des capitaux s’amplifie et se généralise comme celle des biens et des services. Il faudrait un retour du protectionnisme pour casser cette dynamique. Le vieillissement de la population et le refus de la concurrence pourraient inciter les « vieux pays » à fermer leurs frontières. Compte tenu de l’interdépendance et de la mobilité des facteurs, cette solution est de plus en plus difficilement envisageable d’autant plus que les frontières ont cessé d’être physiques pour devenir numériques et virtuelles.

Si la bulle Internet a fait croire que la croissance pouvait se passer de capitaux, celle des années 2000 démontre que la société de la connaissance repose sur l’innovation et exige de plus en plus d’investissements. De même, le retour sur le devant de la scène des industries traditionnelles prouve le bien-fondé des moteurs classiques de la croissance. L’urgence écologique et la généralisation du principe de rareté aux biens autrefois gratuits ou collectifs ne peuvent que favoriser l’intensification capitalistique de l’économie. La thèse de séparation des sphères économiques et financières semble avoir vécu. La mobilité des capitaux contribue à accroître les sources de gains, à faciliter la réalisation des investissements ainsi qu’à réduire les risques.

Les règles séculaires de la division internationale du travail continuent à s’appliquer. Les pays les plus avancés se spécialisent désormais sur la recherche, la conception, la gestion et la commercialisation laissant aux pays en développement la production. La multiplication des zones de consommation incite les producteurs à délocaliser tant pour des raisons de coûts que pour des raisons de marché, tout ou partie de leur production. En Occident, le capitalisme est de plus en plus offshore.

L’avenir appartient-il aux fonds de pension et aux compagnies d’assurances ?

Le vieillissement de la population et la sophistication de l’économie concourent au développement de la sphère financière et assurantielle. Jacques Attali, dans son ouvrage, « Une brève histoire de l’avenir », prévoit que les prochaines décennies appartiennent aux compagnies d’assurances et aux fonds de pension. En vertu d’une autre thèse chère aux « déclinologues », un monde de seniors est peu propice à la croissance. Les courbes démographiques et de progression du PIB évolueraient de manière parallèle. Or, l’allongement de la vie en obligeant à revoir nos modes de production et de consommation est une source potentielle de croissance. En outre, la raréfaction du facteur travail imposera la recherche et l’obtention de gains de productivité.

La croissance est-elle menacée à terme du fait qu’une population vieillissante épargne plus qu’elle ne consomme ? La question de la répartition du patrimoine sera au cœur des débats dans les prochaines années. Avec l’allongement de la vie, les enfants héritent de leurs parents quand ils sont à la retraite. La rotation du patrimoine en est ralentie. Avec le renchérissement de l’immobilier et la faible hausse des prix, il est difficile pour des moins de 40 ans d’acquérir sans apport familial une résidence principale dans les grands centres urbains ou en zone touristique. Le débat en France sur les droits de succession doit être replacé dans cette perspective. Auparavant, le montant élevé des droits était d’autant plus accepté que l’acquisition d’un patrimoine s’effectuait facilement par emprunt. Le phénomène de ciseau, dépréciation des sommes empruntées par l’inflation et l’augmentation des salaires réduisait le coût des investissements. La disparition de cet effet de ciseau rend les droits de succession plus difficilement supportables. L’amélioration du régime des donations constitue une réponse, même s’il est difficile pour des personnes en bonne santé de se dessaisir d’une partie du capital accumulé. Le développement des emprunts sur trente ans voire sur plusieurs générations comme au Japon démontre toute l’acuité du problème.

Rien ne semble aller à l’encontre de la poursuite du processus d’intensification capitalistique même si un rééquilibrage à court terme peut intervenir. L’économie est plus rapide, plus mobile mais aussi à la recherche d’une plus grande sécurité. La fin du tout pétrole et la prise de conscience de la fragilité de l’Humanité ne rendent pas caduque le paradigme économique. Jusqu’à maintenant, il était admis que l’Homme pouvait détruire par folie guerrière la planète ; désormais il est admis que ce pouvoir de destruction existe également en période de paix. Mais, il est aussi admis que le capitalisme, par sa capacité à se régénérer et à assimiler ses contradictions, peut surmonter le défi écologique.